(Dans le Far-West, un groupe de bandit sème la terreur. Ils font alors escale à Lufama-city. Une petite ville au milieu des pleines seiches. Emma est la fille du chef Carson)
« Ne pars pas trop longtemps, demanda Carson à sa fille, nous dînerons bientôt. » Emma écoutait peu. Elle n'aimait pas ces longues haltes dans les villes. Son père disait qu'il fallait laisser les hommes se reposer et dépenser ce qu'ils avaient gagné. Lui non plus n'aimait pas ces haltes mais pour une raison différente : dans les villes il y a un shérif.
Emma aimait l'action. Elle aimait tirer, debout sur ses étriers, au Colt ou à la Winchester. Elle aimait voir la peur dans les yeux des bourgeois. Elle s'amusait à voir les hommes tenter d'être hommes et devenir mioches. Elle aimait sentir les portefeuilles d'autrui entre ses mains. Elle adorait les fuites dans le désert, lorsque un shérif et ses hommes les pourchassaient. Elle était infatigable. Elle tirait mieux que toute la bande et pouvait casser une bouteille au revolver à cinquante mètres. Le vieux Bill, qui avait étudié le grec et le latin, disait qu'elle devait être une descendante des amazones. Emma aimait bien cette idée.
Emma, lorsqu'elle était devenue mûre, avait déchaîné des passions dans la troupe. Sancho avait tué Tommy pour elle. Son père avait finalement réglé définitivement la situation en attachant Sancho à un cactus et en l'abandonnant là, au milieu du désert. Personne n'avait plus jamais fait la cour à Emma. Après s'être disputée avec son père parce qu'elle voulait aimer, elle, et ne pas faire fuir les hommes de la bande, Emma s'était résignée à ne vivre que des amours de passage, se cachant de son père -qui cependant n'ignorait rien-, lorsqu'au détour d'une chevauchée elle rencontrait un homme qui lui plaisait. Petit à petit, alors que ce fonctionnement devenait connu, Emma avait retrouvé ses amis dans la bande. L'amour meurtrier qu'elle avait suscité s'était effacé pour une amitié sincère.
Cependant, dans les villes, Emma n'avait plus d'amis. Elle n'aimait pas cette façon qu'avaient les hommes de boire jusqu'au vomissement, de manger jusqu'à l'éclatement, de baiser jusqu'à la ruine. C'était un autre motif de disputes avec son père. Il ne voulait pas interdire ces ripailles barbares. « C'est nécessaire au bien-être des hommes » disait-il. « Je vis sans, moi » répondait Emma. A force d'effort, elle était tout de même parvenue à convaincre son père de s'assagir.
En ville, elle passait donc la plupart de son temps avec son père, le vieux Bill, la cuisinière Mrs Goldy, et David, un religieux qui écumait la région dans la bande ''pour la survie de son église''. Parfois, comme ce jour là, elle partait se promener dans les rues. Prendre un verre au saloon, discuter, rencontrer quelqu'un, parfois.
Ce jour là, elle descendit la grande rue, poussa du pied la porte du saloon et entra. Des regards étonnés se tournèrent vers elle –une femme au saloon, c'était rare– mais elle ne reçut aucun commentaire. Ses éperons, ses deux colts à la ceinture, ses yeux cruels, son pas décidé et la cicatrice qui courrait tout le long de sa joue gauche avaient l'habitude de taire les plaisanteries. En outre, elle arborait fièrement une crinière qui hypnotisait les uns et prouvait aux autres qu'elle était femme et fière de l'être. Elle commanda un whisky et s'accouda au comptoir.
D'abord elle ne vit que son chapeau. Un chapeau brun et propre. Machinalement, elle baissa le regard vers sa ceinture et admira le Remington qui y brillait. Un revolver entretenu avec soin... Elle leva son regard vers son visage et se perdit dans ses yeux. C'étaient de ces yeux qui semblent un gouffre infini. De ces yeux bleus qui pourraient luire dans le noir. De ces yeux qui paraissent un rayon de soleil à travers l'eau lorsqu'on est là, au fond, et qu'on retient son souffle pour prolonger ce moment de grâce, comme Emma à cet instant.
Puis il rit. Son regard, si c'était possible, s'illumina plus. Ses dents blanches se découvrirent et sa peau se tendit. Il riait de tout son être, entier de joie. Malgré le vacarme du saloon, Emma put entendre l'éclat clair de ce rire incroyable.
Il tourne la tête et la voit, Emma, subjuguée de beauté et de grâce. Elle l'intrigue, cette fille dans le monde des homme qui le fixe sans honte. Il s'approche, il lui parle. D'abord elle ne l'entend même pas puis elle n'entend que lui. Il est parfait. Elle est parfaite. Il parlent, parlent, parlent. Emma ne pense plus au dîner. Elle ne pense plus à son père. Elle ne pense plus qu'à lui. Sa bouche, sa voix, ses mots. Elle se penche doucement et colle ses lèvres aux siennes. Pas longtemps, elle veut continuer à bavarder, à plaisanter. Emma n'a même pas remarqué l'étoile sur sa poitrine.
Emma rentra ivre d'amour. Elle ne prit même pas la peine de se disputer avec son père lorsqu'il lui reprocha son retard. Trop heureuse de vivre. Le vieux Bill la regardait d'un air amusé. Il se rappelait toute les fois où il avait vu ce regard. « Ça c'est la jeunesse ! » pensait-il. Si il savait... David, qui avait célébré assez de mariage pour reconnaître l'amour lui demanda comment il s'appelait. Emma ne lui avait même pas demandé. Mrs Goldy la félicita. Seul son père s'inquiétait, il n'avait jamais vu une telle passion chez sa fille...