Et puis soudain le vide
Qui se déclenche,
Inlassablement, tel le songe d'un rêve morbide.
Face à l'horreur franche :
Que fait l'Homme ?
F.D. Johnson
De doux rayons de lumières venaient illuminer l'une des nombreuses salles de loisirs d'Eternity VI, se reflétant sur la table de verre où trônait un cocktail au trois-quarts rempli. Pourtant, le vaisseau, loin de s'arrêter devant la vue plongeante qu'offrait une légère étoile bleue, et sa plus proche planète, une grosse solide verte, accélérait. Pourquoi ? Et surtout, comment ? Comment ne point s'arrêter devant telle merveille spatiale, qui ciselait le souffle des non habitués, à tel point que personne n'affichait de sourire béat, bien trop captivé par ces tornades de lumières, ces feux d'artifices naturels qui parcouraient des milles et des milles sans jamais s'éteindre : sacrilèges artistiques ! Ici, un volcan en fusion, et là, un javelot de feu perçant l'atmosphère stellaire... Aucun appareil ne prenait de tels clichés, et pour cause : ils ne pouvaient pas. En effet, derrière cette grande vitre qui rappelait les baies vitrées des centristes, un astucieux mécanisme invisible à l'œil nu venait filtrer et analyser tous les rayons qu'on lui envoyait, pour les retransmettre sur un écran, donnant l'illusion qu'on voyait à travers la vitre. Savoir cela vous gâchait la vue, n'est-ce pas ?
Je savais comment fonctionnait ce mécanisme depuis mon plus jeune âge, mais il y avait une différence entre la théorie et la pratique... Depuis combien d'heures étais-je là, à siroter un cocktail à peine entamé ? J'eus un sursaut : Sam, ma visimp, me le rappela instantanément. Deux heures trente-sept... Pratiques, ces implants rétiniens, mais affreusement intrusifs ! Je ne possédais ce petit bijou que depuis quelques semaines, et j'avais encore du mal à m'habituer à cette présence qui répondait à mes besoins avant même que je ne les formule.
- Encore Samantha ? roucoula Avéäm, la blonde qui me tenait compagnie depuis... trois heures, à la différence qu'elle préférait lire plutôt que de regarder par la fenêtre. En effet, la fille du Haut Transpositeur avait eu le loisir de parcourir moults lieux et cela entraînait un paradoxe intéressant : Avéäm se serait probablement émerveillée des quartiers malfamés dans lequel j'étais né, alors qu'ils n'avaient rien de particulier mise à part d'être la preuve indéniable que la vie n'était pas juste.
- Je n'aurais jamais dû me laisser offrir ce bijou par ton frère, Haute Transpositrice...
- Nah, ne m'appelez pas comme ça, Ana, vous savez bien que ça me gêne. Ce n'est qu'un titre, et peut-être cela le restera à vie : je ne mérite pas telle considération !
J'eus un sourire malicieux, qui trahissait mes pensées. Ma présence même dans ce vaisseau de croisière était dédiée entièrement à la surveillance de la prunelle de Erreip, Haut Transpositeur de Bess, soit le titre le plus populaire et le plus respecté parmi les quatorze planètes du Centre. Ces hommes et ces femmes qui donnaient leurs vies au sens propre du terme pour gérer et coordonner une planète entière, à la seule force de leurs esprits. Quelle sensation devait avoir eu Erreip au moment où l'on arrachait son esprit afin de le fusionner au cœur mécanique de Bess ? IA et humain liés pour créer un bijou indispensable au Centre, qui accueillait en moyenne vingt-deux milliards d'êtres humains par planète, soit cent quarante-quatre milliards en tout.
Modeste sentiment de penser qu'on n'avait pas droit à un simple titre qu'en sa destinée était de se sacrifier aux services de la communauté... Tout Avéäm, en somme, et cela faisait son charme : altruiste, sans arrière-pensée, et innocente. Ma mission d'escorte jusqu'à Jaham, capitale de l'Imperium, n'était pas si déplaisante... Et grassement payée ! Mais rassurez-vous, j'appréciais la grande blonde en dehors de ce caractère intéressé. Un sourire parcourut mon visage à cette idée, et elle le prit comme une réponse enjouée.
Avéäm relança la conversation sur un autre sujet, interrompant soudainement le fil de mes pensées égarées.
- Et pour cette erreur... Ça va se régler ?
- Je te l'ai déjà dit : je ne sais pas. Jamais dans tous mes voyages une telle erreur de navigation n'a été commise. Comment ont-ils fait d'ailleurs ? Faire un saut dimensionnel n'est pas si compliqué..., dis-je en me levant... et il y a une différence entre Jaham et je ne sais où dans les Confins.
- Oui, parlons-en des Confins !
Elle n'était guère relaxée à l'idée de se retrouver dans un tel lieu. Et malgré la neutralité faciale que j'abordais, moi non plus. Il faut savoir que l'univers connu est divisé en trois parties : le Centre, composé des quatorze planètes les plus influentes de la civilisation humaine, transfiguré par la technologie et dont même les entrailles habitaient de fantastiques machines et les hommes qui s'en occupaient. Ensuite, il y avait la bordure, constituée de centaines de colonies sur des planètes habitables, essentielle pour fournir des matières premières. Et enfin, il y avait les Confins. Limite de l'univers cartographié, il était le repère de tous les déchets de la société, qu'on envoyait là-bas pour explorer, miner et périr. De plus, on ne savait jamais quand est-ce qu'on entrait chez les Bleutées dans les Confins, n'ayant aucun repère de territoire dans l'espace. Seul empire alien que nous connaissions, malheureusement, celui-ci avait décidé de nous ignorer totalement pour une raison mystérieuse, à tel point que nous ne savions presque rien sur cette civilisation si intrigante.
- Je n'ai rien à t'apprendre sur le sujet, et tu le sais très bien.
Mon visage se ferma. Qu'elle pense donc ce qu'elle veut sur mon passé, je ne la soutiendrais pas. Et si je ne parlais pas des Confins, c'est que je n'y connaissais rien, point final.
La tension était palpable au sein de cette petite pièce, mais ce n'était sans doute rien par rapport à la réunion de crise qu'il y avait en haut du vaisseau, à deux étages de là. Le commandant, ses sous-chefs et tous les aspirants y étaient réunis, ainsi que les plus bien-pensants passagers, afin de trouver solution à cette énorme bévue. Tout le vaisseau aurait dû s'y trouver, mais l'ambiance qui y régnait et la longueur de la discussion en avait lassé plus d'un, à commencer par ma protégée.
Voyant que cette dernière se détournait de moi sans autre complexe et sans même répondre, je lançai dans le simple but de ne pas finir sur ce sentiment de culpabilité.
- Arrête, je t'ai déjà avertie : c'est ma façon de travailler. Si tu ne sais rien sur moi, c'est pour des raisons professionnelles.
- Et je devrais acce...
Je m'appuyais au bar de la main droite alors qu'une violente secousse se propageait dans le vaisseau.
- Qu'est-ce que ?
Mon premier réflexe fut de regarder par la baie vitrée, et cela ne présageait rien de bon.
- Le vaisseau est en train de ralentir !
- Quoi, mais pourtant...
- Viens.
Je coupais court à toute discussion d'un ton sec en l'empoignant et en me dirigeant vers la sortie, alors que le bâtiment frémissait dans son entièreté.
Alors même que nous tentions de franchir la porte, une troisième secousse d'une autre nature ébranla l'appareil, nous projetant quelques pas en arrière : le vaisseau venait de s'incliner. D'instinct, je compris, alors que le sol devenait une légère pente. Un abordage ! Cela ne pouvait être que ça, et je connaissais bien leurs méthodes. Deux ou trois tirs lourds pour faire une brèche dans le vaisseau, puis un énorme grappin pour pouvoir se tracter jusqu'à la cible, et enfin, on entre.
La lumière artificielle fut remplacée par une lumière rougeâtre, tandis qu'une sonnette d'alarme clignotait, avertissant que l'oxygène commençait à s'échapper. En relevant la tête, je vis que la porte de sortie s'était refermée. Tentant de l'ouvrir à nouveau, je me rendis vite compte de la réalité : nous étions bloquées ici.
- Eh merde ! C'est fermé.
L'angoisse se trahissait sur le visage d'Avéäm.
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Odyssée Cosmique
Science FictionPetite histoire de SF dans un univers inventé par mes soins. Space Opéra en perspective, je vous laisse découvrir l'intrigue :) Bonne lecture !