Parce qu'on joue de la Tristesse dans la Comédie,
Etparce que la Tragédie exploite le chagrin et la pitié,
Lasouffrance est la vertu de l'écrivain.
Partie 1Chapitre 1
Dans le sablier hyperbolique du temps qui défile, deux jourss'étaient écoulés, grain par grain. Deux jours depuis queCharlie avait emménagé chez Ethan dans un appartement flambantneuf. Neuf ou presque...La jeune fille se frotta le visage.Lentement, sa main s'imposa sur son front, puis sur ses paupièreset sur son nez afin d'atterrir en coupe sur son menton. Atarax.Le mot résonna dans son crâne comme un sifflement de tentationdépravée alors que sur sa langue, le goût du médicament lataquinait. Elle secoua la tête. Il ne fallait pas qu'elle y pense.
Elle poussa un carton du pied, soupira et s'écroula sur le lit lesbras tendus. Expirant et inspirant au rythme du tic et du tac quianimait sa pendule, elle observa le plafond : blanc. Blanc maispourtant pas immaculé. Elle se focalisa sur sa surface lisse etdistingua que la couleur claire s'estompait dans les angles de lachambre au profit de teintes jaunâtres. Elle grimaça. Sans parlerdes minuscules taches de sang qui salissaient la pâleur de la voute.Ses joues se gonflèrent quand elle prit une grande inspiration.Puis, en quelques millièmes de secondes, ses poumons se vidèrententièrement. Un courant paisible zigzagua dans son anatomietraversant le moindre de ses organes avant de s'épuiser dans sesextrémités.
Au vu du tableau que renvoyait ce plafond, il était clair que lesanciens occupants s'étaient amusés à écraser les moustiqueslors d'étés caniculaires comme celui qu'elle vivaitaujourd'hui. Son visage bascula sur la masse cotonneuse de son litpermettant à son regard d'entrer en duel avec la pendule accrochéeau mur droit. Ses aiguilles en pointes indiquaient un horaire plutôtmatinal. La plus grande d'entre elle, plongée en une parfaiteverticale, épousait gentiment les courbes du six tandis que la pluspetite s'accrochait au neuf. 9h30. A cette heure-ci, la chaleurambiante l'oppressait déjà. Charlie avait même dû s'attacherles cheveux, ce qu'elle détestait par-dessus tout. La canicule,cette grande maline, l'obligeait à s'habiller avec si peu detissu que la jeune fille avait fini par arrêter de se préoccuperdes regards en coin dont elle était la cible.
Passant la main au-dessus de sa tête, elle saisit l'occasion des'éventer souplement. Sa main papillonna quatre ou cinq fois àproximité de son visage sans succès. L'atmosphère pesantla fatiguait et lui hurlait de renoncer à faire le moindremouvement. Elle capitula et balança doucement son bras dans lescouvertures. Pourtant, il n'était pas question de lésiner. Pasaujourd'hui. Des dizaines de milliers de cartons l'attendaient ets'empilaient dangereusement contre les murs de sa nouvelle chambre.Elle marmonna. Et la procrastination, tu y as pensé ? Hélios, en accord avec sa pensée, se faufila habilement par lafenêtre afin d'embrasser ses jambes et son ventre pareil à unamant dévoué. Charlie était partagée entre les caresses agréablesdu soleil sur sa peau et la vision de sa chambre qui, infime, n'étaitpas prête à subir cet assaut de futilités matérielles.
Elle leva ses deux bras et les tendit en l'air tout en lesconsidérant silencieusement. Ils étaient bronzés. Sur ses ongles,son vernis s'écaillait. Autour de ses poignets, ses bracelets, quel'eau de mer avait souvent côtoyés, blanchissaient. Son épidermen'avait pas été la seule partie de son corps à avoir subil'attaque de l'astre. Effectivement, ses cheveux bouclés avaientblondi et de petites taches de rousseur parsemaient le bout de sonnez. Ses bras retombèrent lourdement contre le matelas. L'à-coupfit tressauter sa respiration.
Au même instant, la porte de sa chambre s'ouvrit à la voléeprovoquant, dans sa cage thoracique, un arrêt du cœur immédiat.Une tête brune s'en échappa.