Nous arrivons dans ma tente, ma maison. On s'assoit par terre ici, on n'a pas le choix, et on fume des joints ici, on n'a pas le choix. Je lui demande:
- Comment tu es arrivée ici, toi ?
Elle me regarde quelques secondes, sans jamais cligner des yeux, à croire quelle ne voulait rien rater du spectacle, puis me répond d'une voix faible :
- En voulant être libre.
Ca m'a flanqué un choc. Nous avons été condamnés à mort pour avoir essayé de s'enfuir. Nous sommes dans le couloir de la mort, et nous sommes dans la même cellule, Heineken et moi. Et nos seuls échappatoires restent la drogue, les rêves, et les histoires.
"Restes avec moi. Restes avec moi."
Lorsque les premières étoiles apparaissent, il faut se couvrir, parce que la nuit est sans pitié: elle vous anesthésie puis vous tue. Et le Soleil est déjà en train de se coucher. On prend alors la route pour le Feu Folie, un bar à 500 mètres de là, pour y rejoindre Dorki, mon vieil ami. Dorki, il déshabille les drogués gisant dans la rue, et vend leurs vêtements entre 1 et 3 verres de scotch. Autant dire qu'avec le taux de mortalité de ces lieux, il n'était que rarement sobre. Laissez-moi vous dire que, même s'il a fait de son mieux pour le cacher, Dorki a fondu devant Heineken. Lui, cette grosse brute antipathique.
C'est à ce moment que j'ai su que dans les poubelles, j'avais trouvé une perle.
Nous sommes restés quelques heures sur nos tabourets bancals à cause des bêtes qui en avaient rongé les pieds. Heineken dormait comme une enfant sur la banquette de cuir rouge tachée de sang, ses longs cheveux noirs traînant sur le parquet. On aurait cru qu'elle souriait, mais ce n'était pas possible, personne ne souriait ici.
Il ne restait plus que le barman et moi, Dorki ayant sombré dans le plus profond des sommeils. Alors qu'il essuyait un verre cassé, le barman me dit:
- Tu sais qu'elle va vite mourir, ici?
Il claque le verre sur le comptoir devant moi, et y verse un vieil alcool.
- Non, pas tant qu'elle est avec moi.
Alors qu'il s'apprêtait à se servir un verre à son tour, il s'arrête et me regarde quelques secondes. Je sentais qu'il avait pitié pour moi, et qu'il ne pouvait rien y faire. Mais il se ressaisit vite, car il avait vécu la même chose que moi, assez de fois pour qu'il puisse se convaincre que, de toute façon, il avait raison. Il se verse un verre, et dit, de sa voix grumeleuse:
- Je te préviens juste: ne t'attaches pas trop!
Je ne l'écoutais pas, je souriais. Je souriais en regardant Heineken dormir. Le jour se lève à nouveau, il faut qu'on parte.
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Heineken
Adventure"En bas", c'est ici que l'on vit, Heineken et moi. "En bas", c'est ici que ceux d'en haut déversent leur merde.