Chapitre 3

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– Je reçois de plus en plus de rapports sur les embouteillages provoqués par les Glucides, grinça le directeur en agitant lesdits rapports de la main. On me demande des comptes. J'ai répondu que la situation résultait d'une décision vous appartenant, car c'est bien là la stricte vérité. Alors maintenant, « chers » actionnaires, il va bien falloir que vous preniez une nouvelle décision, parce que c'est de votre faute, après tout.

Et il jeta un regard accusateur sur les actionnaires rassemblés devant lui autour de la table.

– Les Glucides encombrent les vaisseaux sanguins, le Cœur s'est plaint du travail supplémentaire à effectuer du fait de la fluidité devenue très relative du Sang. Et avec le Foie qui continue de m'en livrer, la situation commence à devenir handicapante, si vous me passez l'expression. Alors que faisons-nous ?

Les actionnaires échangèrent des regards, la conversation silencieuse. Puis ils semblèrent tomber d'accord, l'un d'eux hocha la tête et se leva.

– La réponse à cette question est très simple, monsieur le directeur. Débarrassons-nous des Glucides.

Le directeur crut qu'il avait mal entendu.

– Je vous demande pardon ?

Un autre actionnaire se leva alors.

– Le problème vient du fait que les Glucides encombrent les vaisseaux sanguins. Signons un accord avec le Sang, dégageons ces Glucides et le problème sera réglé.

Les autres actionnaires approuvèrent en hochant silencieusement la tête.

– Passons au vote ?

Tous levèrent la main. Le directeur se contenta de se laisser retomber dans son fauteuil, frottant son visage fatigué.

*

Le protocole d'évacuation se mit en place remarquablement vite. La consigne était simple : les Glucides ne trouvant pas leur place devaient être évacués par tous les moyens possibles. Dans la pratique, cela consistait en ce que le système immunitaire appelait « laver à grandes eaux ». Un appel fut lancé : devait être mise à disposition toute l'eau pouvant être fournie afin d'évacuer les Glucides excédentaires. L'Organisme tout entier dut puiser dans ses réserves, et « laver à grandes eaux ».

La Vessie eut beaucoup à se plaindre, son rythme de travail quadruplant du jour au lendemain, la forçant à évacuer plus de fluides qu'elle n'en avait l'habitude. Les Reins eurent également à se plaindre, le rythme d'évacuation étant trop important pour pouvoir filtrer correctement et récupérer suffisamment de Glucides au passage. Les Yeux vinrent à leur tour à se plaindre, signalant des fluctuations anormales dans leur fonctionnement. Et les Artères suivirent de près l'application du protocole, ouvrant un dossier pour surveiller la circulation des graisses.

Et l'organisme tout entier pompait. Beaucoup trop.

– Je m'en voudrai toute ma vie de vous avoir laissé faire ! ragea le directeur. Vous êtes content de vous ? Votre ridicule protocole « laver à grandes eaux » nous coûte des quantités d'eau si importantes que nous sommes obligés d'en importer. Et il marche tellement bien, votre protocole, que non seulement le nombre de Glucides ne diminue pas, mais il continue d'augmenter. Et avec le secteur Alpha qui continue de passer commande au Foie...

– Dans ce cas, supprimez le secteur Alpha, suggéra l'actionnaire.

Le directeur se prit la voûte du nez entre le pouce et l'index.

– Je vais faire comme si vous n'aviez jamais dit cela. Laissez-moi juste vous faire comprendre une chose : à la façon des deux ventricules du Cœur, les deux secteurs du service Langerhans fonctionnent – fonctionnaient – en tandem. Le secteur Bêta récupérait les Glucides dans le sang et les redistribuait. Et quand il n'y en avait plus, ou très peu, le secteur Alpha envoyait un message au Foie qui en libérait. Ainsi l'équilibre était préservé. Mais depuis que vous avez eu la formidable idée de radier les Insulines, les Glucides ne sont plus distribués, ce qui a conduit à un déséquilibre.

Le directeur se détourna vers son bureau.

– Laissez-moi vous montrer quelque chose.

Il sortit un dossier d'un tiroir et l'ouvrit.

– Vous voyez cette courbe ?

L'actionnaire baissa les yeux sur la feuille qui lui était tendue et pâlit brusquement.

– Est-ce que c'est... ?

– La glycémie ? Oui. Normalement, elle est censée rester stable avec trois pics principaux par jour.

L'actionnaire déglutit.

– Sauf que depuis vos merveilleuses décisions, voilà qu'elle ne fait plus que monter. Et monter, et monter, et monter.

Le directeur referma le dossier d'un geste sec et leva les yeux sur l'actionnaire livide.

– Osez seulement me dire qu'il suffirait de rappeler les Insulines, et je vous le fais avaler. On ne peut pas reformer le secteur Bêta. Une fois compromis, il n'est pas récupérable.

Il croisa les bras.

– J'ai reçu des appels du Tissu Adipeux. Depuis la mise en place du protocole, il a enregistré une baisse de 19 % de son stock. 19 % en quatre mois ! Je ne suis pas sûr que vous compreniez à quel point c'est énorme.

Il y eut un très lourd silence.

– Vous comprenez ce que tout cela veut dire, n'est-ce pas ?

L'autre hocha la tête.

– Le diabète...

– Tout à fait. Et maintenant, on fait quoi ?

Saccharomyces Cerevisiae [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant