Ce café n'était jamais totalement bondé; il faisait parti de ces cafés qui sont coincés au milieu d'une petite rue, fréquentés seulement par les habitués qui viennent depuis des années et sont devenus à force presque comme une famille pour les propriétaires, ou bien de personnes perdues qui en vaquant au fil des rues se sont retrouvées ici par un pur hasard en se disant "on va rester ici quelques instants pour reposer nos pieds" et que ces instants finissent par devenir des heures. C'est un de ces cafés qui a une ambiance étrangement chaleureuse, presque un autre monde totalement différent de celui que l'on venait de quitter. En rentrant ici, le temps semblait s'arrêter et rester en suspens. Les petits cafés de quartier, en quelque sorte.
Le matin de cette journée, la pluie était tombée en trombes et ne semblait pas vouloir s'arrêter. Le patron du café, le seul employé de l'endroit à vrai dire, regardait les passants courir devant la vitre de son petit commerce, se couvrant de journaux qu'ils ouvraient au-dessus de leurs têtes pour tenter de se protéger un minimum, remontant leurs vestes, ou quelques rares chanceux n'ayant pas oublié leurs parapluies observaient les autres faire avec un petit air amusé et narquois sur leurs visages. Le va-et-vient quotidien. Personne ne jetait ne serait-ce qu'un coup d'œil à la façade terne mais pourtant à l'abri du mauvais temps.
La porte s'ouvrit pour laisser passer le premier client de la journée et il releva la tête du comptoir qu'il était en train d'astiquer, un sourire apparut sur ses lèvres quand il reconnut un de ses plus fidèles clients.- Salut John. Comment tu vas ?
Le-dit John s'assit au comptoir, frottant sa barbe d'un air endormi, pendant que le barman allait préparer son café habituel et le regardait du coin de l'œil pour essayer de repérer des indices de nouveaux événements.
- Boarf pas grand chose. Janet continue avec ses potins et ses copines qui viennent tous les jours pour leur club de tricot. J'ai l'impression de plus être chez moi à force. Les femmes.
Un rire rauque s'échappa des lèvres sèches aux contours ridés, ses yeux se plissant à peine. Il secoua sa tête et attrapa la tasse que Charles lui tendait, le remerciant d'un petit mouvement de tête.
Le reste de la matinée passa alors qu'ils parlaient tous les deux. Du quotidien. Des infos de la veille. De cette saleté de président qui était maintenant au pouvoir et risquait de mener le pays à sa ruine. Ils eurent d'ailleurs un débat houleux à ce sujet, mais finirent par s'entendre d'un commun avis sur le fait qu'il était superbe comme businessman mais un bel incapable au statut de président.Et vers 15h, alors que seulement cinq clients (tous des habitués) étaient arrivés et repartis depuis que John était arrivé, la porte sonna et un jeune homme inconnu rentra à l'intérieur, un air perdu sur le visage.
Les vieux amis tournèrent d'un même mouvement la tête vers l'inconnu, celui derrière le comptoir se redressant en le détaillant, frottant ses mains sur un torchon qui traînait sur une étagère derrière lui.- Vous prendrez quelque chose ?
- Un café allongé.Il offrit un faible sourire timide aux deux hommes et se dirigea vers le fond du café, sur une banquette, posant son sac à ses côtés. Ce jeune homme s'appelait Pierre. Il n'était pas originaire de ce pays, était ici seulement depuis quelques années. Il croisa ses bras sur la table, sa tête dedans le temps de reprendre ses esprits. On lui avait donné rendez-vous ici, il ne connaissait pas cet endroit mais trouvait quelque chose d'apaisant dans cet endroit. L'idée d'y revenir plus souvent, pour travailler dans le calme, lui arracha un sourire. Ce n'était peut-être pas forcément une mauvaise idée.
En entendant des bruits de pas s'approcher, il se redressa et sortit son portefeuille pour payer les quelques dollars qu'il coûtait, remerciant d'une voix basse le propriétaire. Il prit entre ses deux mains la tasse, souffla sur le liquide et but une petite gorgée, le regard perdu dans le vide. Il jetait toutes les cinq minutes un regard à sa montre, comme s'il était pressé. Ce qui était peut-être le cas. Peut-être qu'il s'inquiétait surtout de ne pas voir la personne arriver. Il était certes arrivé en avance (une vingtaine de minutes, d'accord, mais tout de même) mais s'inquiétait de ne pas voir l'autre arriver.
Ses dents attaquaient ses lèvres alors qu'il se retenait de ne pas envoyer de messages pour ne pas sembler trop impatient, alors qu'il l'était et à quel point. C'était la première fois qu'il était aussi nerveux, mais il ne fallait pas qu'il le montre. Montrer sa nervosité signifiait la fin de tout.
Sa tasse finie, il se laissa tomber contre le dossier de sa banquette, fermant ses yeux alors qu'il posait une main sur sa cuisse. Autant profiter du temps en solitaire pour se reposer. Il était presque sûr de s'endormir dans le cas contraire. Il avait tellement peu dormi à cause de tout le stress qu'il ressentait ces derniers temps (en-dehors de ce rendez-vous en lui-même). Il voulait simplement se reposer, fermer ses yeux quelques instants. Mais lorsqu'il les rouvrit, réveillé en sursaut par le bruit de la cloche qui annonçait une nouvelle personne, il vit bien vite qu'il s'était endormi pendant une bonne vingtaine de minutes.
Et que son rendez-vous venait d'arriver.
Il posa son coude sur la table et fit un petit signe de la main, menton posé sur l'autre, pour lui indiquer de le rejoindre.
Il regarda la jeune femme qui venait de s'asseoir en face de lui, le visage encore à moitié endormi, à peine réveillé de sa petite sieste. Ses yeux se perdirent quelques instants sur le visage de la brune, qui s'installait devant lui. Lorsqu'elle leva ses yeux pour les plonger dans ceux de Pierre, ce dernier ne changea pas de position et se contenta de plisser les yeux, souriant malicieusement.- Alors comme ça on aime me faire attendre ? J'ai failli partir tu sais, je commençais à douter que tu viennes.
- Voyons Pierre, tu as le grand honneur d'être invité par Rose McAlister est-ce que tu oserais partir ?Elle se mit à rire et ce rire résonna jusqu'aux oreilles du jeune homme qui se mit à sourire bien plus grandement à ce simple son. Il étira ses bras alors qu'elle passait une main dans ses lourds cheveux, les rassemblant dans un semblant de natte pour ne pas qu'ils lui tombent devant les yeux.
Il l'avait rencontrée il y avait seulement quelques mois, trois tout au plus, mais à chaque fois c'était toujours la même chose. Il y avait toujours ce petit picotement dans le creux de son ventre qu'il ne comprenait pas. À chaque fois il se perdait dans la couleur de ses yeux. C'était ridicule, il le savait pertinemment. Mais c'était ainsi.
Elle commanda une boisson au vieil homme qu'elle semblait connaître avant de reporter son attention sur son rendez-vous de la journée.
Il lui en avait fallu du temps avant d'oser demander ce simple rendez-vous, banal. Du temps et nombre d'encouragements et menaces de la part de sa meilleure amie. Mais elle l'avait fait, elle était en face de lui et cela semblait être beaucoup trop beau pour être vrai.
Ils commencèrent à parler, à rire ensembles. Une heure passa, puis deux. Et à chaque minute qui passait, l'un et l'autre se rapprochait un peu plus. Des sourires et regards timides étaient échangés. Les pieds s'étaient cognés dans une maladresse qui ne leur ressemblait pourtant pas. Ils avaient fini par toucher du bout des doigts la main de l'autre, les longs doigts fins de Pierre caressant le dos de la main de Rose.
Et l'heure vint de partir.
Le brun raccompagna la brune chez elle dans un dernier espoir d'arranger les choses, les bras le long de son corps les premières minutes avant qu'il vienne timidement prendre ses doigts dans les siens, se voulant bien plus sûr de lui qu'il ne l'était en réalité.
Au bout de longues minutes, elle s'arrêta devant une porte avec un petit sourire triste et pencha sa tête, les yeux brillants d'amusement.- Désolée de couper court à cette conversation des plus intéressantes mais c'est chez moi.
- Oh.Il rit tout bas et secoua sa tête en la regardant, bien plus confiant qu'il ne l'était au début de l'après-midi.
Il s'approcha d'elle et pencha sa tête vers la sienne, posant à peine ses lèvres au coin des siennes, dans un baiser qui se voulait plein de promesses.- Peut-être que la prochaine fois je pourrais t'inviter ?