Partie 1 sans titre

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Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie

Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,

Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties

Sans un geste et sans un soupir ;

[...]

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire

Seront à tout jamais tes esclaves soumis,

Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire

Tu seras un homme, mon fils.

Rudyard Kipling (1910), traduit de l'anglais par André Maurois (1918)

PREMIÈRE PARTIE :

LE BIGORNEAU

« La vie est difficile. Si nous souffrons, ce n'est pas tant à cause de la difficulté de la vie que de notre croyance en une vie facile. » (Scott Peck)

Mardi 28 janvier 2010, 1 h 15 du matin

Dans la vie, certaines personnes ont de la chance, d'autres moins. J'ai toujours eu le sentiment d'appartenir à cette seconde catégorie, comme si je n'étais pas né sous une bonne étoile. Comment expliquer sinon que j'ai hérité de la toison orange de ma grand-mère paternelle dans une fa-mille où la seule originalité capillaire se jouait dans les nuances de brun ? Un brin de chance, était-ce trop deman-der pour une fois dans ma vie ?

1.

En ce lendemain de Noël, les yeux clos, Aurélien respirait à pleins poumons. Une fois n'est pas coutume, il n'avait pas hésité bien longtemps lorsque des amis d'enfance lui avaient proposé ces quelques jours de vacances à Courchevel. C'était l'occasion rêvée de changer d'air en passant un Nouvel An inédit et exotique à la montagne, tout en s'épargnant les affres de la recherche des sempiternels plans de dernière minute. Cela faisait des semaines maintenant qu'il attendait cette grande bouffée d'oxygène, avec le même mélange d'impatience et d'excitation qu'un enfant éprouve au mois de décembre. En même temps, les derniers jours au bureau lui avaient semblé si longs, presque sans fin, à tel point qu'il se sentait devenir un véritable « Bill Murray de la comptabilité » .

Il rouvrit les yeux. Les nuages étaient aux abonnés absents, laissant toute latitude au soleil pour lui réchauffer l'épiderme. Maxime, son plus vieil ami d'enfance, et lui partageaient le télésiège avec deux adolescents, habillés à la dernière mode de Snowboard magazine et surexcités à l'idée de leur semaine : la glisse, les potes, les filles... Aurélien les écoutait et souriait malgré lui. Une bonne dizaine d'années les séparait, peut-être plus, et pourtant leurs programmes se recoupaient en tout point. La remontée mécanique toussota sur quelques mètres avant de s'immobiliser. Il en profita pour admirer à nouveau l'immensité blanche à perte de vue, sur laquelle des petits bonshommes laissaient de fugaces empreintes. Au fond, comme nous sur la Terre, philosopha-t-il en son for intérieur.

— Alors Aurélien, il est pas impressionnant ce domaine ? s'emballa Maxime en lui tapant sur l'épaule.

— C'est exactement ce que j'étais en train de me dire, abonda-t-il après avoir manqué de laisser échapper un bâton au beau milieu des sapins. Merci encore pour l'invitation ! On va passer une pure semaine, I gotta feeling !

— High five ! Mais remercie plutôt mon oncle qui nous loue quasi gracieusement le studio. Et puis je trouve ça cool qu'on puisse se faire un truc tous ensemble, on ne te voit plus trop ces derniers temps, depuis que Môssieur vit à Paris...

Le bigorneau amoureuxWhere stories live. Discover now