Mes traits trahissent une lueur que Rufus n'avait pas contemplée depuis longtemps. J'emporte les carnets et les dépose en ligne sur le lit. Il y en a sept. Un rouge, un vert, un orange, un violet, un jaune, un bleu et un dernier de couleur indigo. Entrouverts, je remarque les dates. 2011, 2014, 2010... Les pages sont tournées, retournées, pour que je puisse regrouper ceux qui se suivent. « Poubelle », « mars », « juillet », « phoques », « janvier », « sapin ». Des mots accrochent mes pensées. Je les balaye de toutes mes forces. Je ne veux pas me faire spoiler. Jusqu'à ce que, après plusieurs minutes, un arc-en-ciel apparaisse sur la couette. Un feed instagram n'aurait pas fait mieux.
La porte claque. C'est Julien qui vient de rentrer du boulot. Je vais le saluer dans la pièce à vivre, lui rappelant au passage qu'il n'habite pas seul et que je n'ai pas à subir son bazar et ses chaussettes qui puent. Il grogne un peu, mais hoche la tête. Bien obligé, mon père est propriétaire de l'appartement. Mon commentaire de daron lâché, je m'empresse de ranger les six couleurs sous clés. Le premier carnet est encore entre mes mains, quand une feuille glisse du journal. Entièrement écrite en italique à l'encre noire, la lettre a pour titre Le Conte d'une Fille Pommée. Un fruit croqué est dessiné maladroitement à côté.
« Il était une fois, la naissance d'une petite fille accompagnée d'un double, un brin particulier. Ils avaient le même air, le même regard, pourtant deux êtres totalement différents venaient de prendre place dans ce monde. La petite fille fut nommée Timéa et le petit garçon Adam. Aidés amplement par la science dans leur conception, ils avaient déjà un petit périple derrière eux. À la sortie de la clinique, la brise méditerranéenne les accueillit. Le port était à quelques mètres et les mouettes hurlaient au-dessus de leurs têtes. Le Mont Faron émerveillait leurs petits yeux et veillait sur eux. Le cœur en fête, les jours passèrent et devinrent des mois.
Alors qu'ils entraient dans leur deuxième année, une nouvelle fut dévoilée. Les valises bouclées dans la nuit et les kilomètres aussi. La France traversée d'une traite – ou presque – les voilà devant un panneau frappé par une trombe d'eau. « Nord-Pas-de-Calais » pouvait-on deviner. Leur papa avait bien été muté, séparant nos deux comparses de leur bergerie, où ils avaient bien grandi. La mer Méditerranée avait fait place à la mer du Nord. Dans leurs pull-overs en laine, les habitants nommaient cette ville aux accents un peu moins chantants « Dunkerque ». C'est, emmitouflés dans leurs gros manteaux, que les deux zoziaux découvrirent le goût des friteries à la frontière
Les enfants entrèrent en maternelle et nouèrent leurs premiers liens. Timéa se trouva une amie aux cheveux blonds et aux yeux gentils, tandis qu'Adam jouait avec les garçons, toujours avec un ballon rond. Un jour gris et pluvieux, Timéa croisa le regard de l'étrange garçon aux yeux gris. Il lui sourit et lui dit « Je te trouve très jolie ! » Et c'est ainsi qu'un petit couple aux cheveux fins fût uni. La vie était logique et magique. Leur innocence protégée leur a permis à tous deux de s'envoler. Les premières classes, les premières grandes découvertes, les spectacles et souvenirs qu'on n'effacera jamais de sa tête. Chaque période a sa chanson, celle-ci en regroupe des millions. Premiers émois, premières frayeurs, premières colères et premiers pleurs. Ils s'amusaient à jouer au papa et à la maman, pensant au jour où ils seraient grands, ne sachant pas vraiment ni quand ni comment.
Timéa arrivait presque à la poignée, sans tricher en se mettant sur la pointe des pieds. Les deux garnements s'amusaient à camper dans le couloir, cherchant de nouvelles aventures à partager. Les Francs étaient devenus des Euros, les peluches mâchouillées, des héros. Timéa rêvait en grand, avec ses crayons de couleur et ses papiers blancs. Adam s'amusait avec ses Legos, détruisant les villes où les T-Rex avaient fait leur campement. Naviguant entre spectacles de danse et compétitions de judo, bibliothèque le mercredi et stade de foot le samedi. Chacun dévoré par ses passions. Les Disney s'enchaînaient, en répétition. Jamais les câlins avec leur chienne ne les lasseraient. Des plans firent petit à petit leur apparition, près du coin de télévision. Quelle couleur la nouvelle chambre ? Vous préférez celle près de l'entrée ? Aucune réponse trouvée, peu de temps pour imaginer.
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Journal d'une mythomane - publié chez Erato Editions
General FictionDans un monde où pluie rime avec vie et cœur avec douleur, plongez dans les carnets arc-en-ciel de Timéa, écrits dix ans auparavant. Suivez Ben, un étudiant naïf et égoïste, dans sa quête pour réparer une terrible erreur. Rencontrez Julien, son colo...