1. Asphodèle

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« Maman, maman ! Maman, regarde ! Je l'ai trouvée dans le jardin, n'est-elle pas magnifique ? ... Maman, elle était derrière le grand arbre, près du petit lac ! Regarde maman ! »

Ce jour là, je criais dans les couloirs, ce qui était formellement proscrit par le règlement mis en place par ma gouvernante, de peur que je ne porte atteinte à la tranquillité nécessaire au bon déroulement du travail de ses maîtres. Faites au moins l'effort de me comprendre, j'étais ravie de ma précieuse trouvaille. Aussi ravie qu'une enfant pouvait l'être après avoir découvert son tout premier trésor, un grand trésor.

Ce que je vais vous raconter eut lieu peu après mon sixième anniversaire - si ma mémoire ne me fait pas défaut. Il faut dire que le contexte initial, qui ne vous serait guère utile, fut très rapidement supprimé de ce que j'appelais « ma vie » à l'époque, si bien que je ne m'en souviens plus très bien. Je ne faisais pas grand-chose, je menais une enfance nourrie à grosses cuillerées de solitude dégoulinantes de larmes de crocodile, que je versais toutes les deux heures environ, espérant ainsi attirer l'attention de mes parents. Seulement, ces crises n'avaient pour effet que de provoquer les réactions hystériques de la gouvernante. Mon père était constamment absent pour des raisons qui m'étaient inconnues, et ma mère, elle, ne me portait jamais aucune attention. J'étais toujours seule. Une petite fille seule, dans un grand manoir.

Dans mes plus sombres et lointains souvenirs, il n'y a qu'une petite fille qui joue toute seule à cache-cache avec les portraits lugubres du grand salon, perdue dans les longs couloirs, ou qui joue au loup avec les esprits du jardin du manoir - en admettant qu'ils étaient bien là.

L'histoire que je m'apprête à vous raconter débute lors d'un matin ensoleillé de mai, une très belle journée. Une journée qui aurait pu se dérouler comme toutes celles qu'on oublie au soir, en fermant les yeux, l'esprit assoupi sur l'oreiller. Elle restera pourtant éternellement gravée dans ma mémoire et vous comprendrez vite pourquoi.

Ce matin là, je traversais les nombreux couloirs dans l'espoir de trouver le bureau de ma mère pour lui montrer ce que j'avais dégoté plus tôt dans le jardin. Insouciante, j'ouvrais toutes les portes qui se présentaient sur mon chemin avec autant d'audace qu'un petit taureau effronté. Les nombreux couloirs étaient silencieux, mes pas résonnaient seulement pour me prouver que je n'avais personne pour me tenir compagnie. J'étais seule, comme d'habitude. Je traversais la longue allée plongée dans les ténèbres, les volants de ma robe du dimanche voltigeant autour de moi. J'étais tellement heureuse,tellement joyeuse, tellement perdue dans mon bonheur, tellement...

Enfin, j'arrivai devant une porte, au fond d'un autre couloir, qu'importe lequel. C'était le bureau de ma mère. Je poussai la porte, le visage rayonnant de joie, brandissant mon trésor, prête à l'exhiber.

« Maman ! C'est... »

...à ce moment là que les événements prirent une tournure amère.

Comment pourrais-je oublier ? Ces choses là ne s'oublient pas. Ces moments qui s'impriment au fer rouge, dans votre esprit si naïf soit-il, pour le hanter jusqu'à sa fin.

Je poussai un cri. Aigu. Celui d'une fillette de six ans découvrant sa mère étrangement étendue sur le sol de son bureau. Qu'allais-je faire ? Que devais-je faire ? Je ne pouvais rien pour elle, et même si j'avais pu faire quoi que ce soit, l'aurais-je fait ? Ce n'est pas certain qu'une enfant réalise une telle situation. Pour moi, c'était un cauchemar. Un terrible cauchemar. Je ne savais pas quoi faire. J'étais terrifiée par la quantité de sang qui se répandait autour de son corps. Une flaque qui s'agrandissait affreusement vite, d'un rouge foncé inquiétant. De quoi faire pleurer d'horreur une innocente petite fille.

« Maman, lève-toi...Ma...man... » De violents sanglots ne tardèrent pas à étouffer ma petite voix effrayée. Ma mère ne donnait aucun signe de vie apparent. Ses yeux semblaient vides, ils étaient sombres, son teint était pâle, elle baignait dans son sang. Son bras gauche était replié sous son corps et l'autre était allongé vers l'avant. Vers moi. Comme si elle me suppliait de lui venir en aide. Dehors, des voix d'hommes se faisaient de plus en plus nombreuses et proches. Tétanisée, je sortis de la pièce à reculons et m'enfuis en courant aussi vite que je le pouvais dans ce fameux couloir vide, silencieux et interminablement long. Ce couloir, qui quelques minutes auparavant me faisait peur, était à présent devenu ma seule issue, ma seule chance de fuir. L'idée de devoir le traverser seule, pour n'y trouver personne de l'autre côté, était à m'en glacer le sang. Je pris l'escalier et montai à l'étage dans l'espoir de pouvoir me cacher dans une des nombreuses chambres du manoir. J'en choisis une au hasard, poussai la porte et me précipitai dans le premier placard que je trouvai. 

Après cela, je me souviens d'avoir attendu. Longtemps, très longtemps. Des heures peut-être. J'entendis des bruits de pas, des voix rauques qui criaient « Retrouvez-la ! Ramenez-la vivante ! ». Ils parlaient de moi, j'en étais presque certaine. Mais j'étais persuadée que ma cachette était impossible à trouver.

S'ils trouvèrent le coupable ou pas, je n'en ai aucune idée et s'ils me trouvèrent moi, je n'en garde aucun souvenir non plus. En revanche, je sais qu'il ne m'arriva rien pendant de longues années. Rien du tout, après cet horrible évènement. Sauf, une chose. Une insolite rencontre.

| fin premier chapitre - corrigé |

Morale du chapitre : ne ramenez pas une fleur à votre mère, pas si vous êtes une fillette âgée de six ans, ça pourrait foutre en l'air votre innocence.

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⏰ Last updated: Dec 29, 2017 ⏰

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Erat IraWhere stories live. Discover now