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/samedi 5 septembre/

Dire que ses parents ne lui manquaient pas serait faux. Que ce soit sa mère à bout de nerf ou son père qui semblait l'avoir renié, ça ne changeait rien. Il avait une profonde affection pour eux, il éprouvait un amour fort qu'on ne peut oublier. Son plus jeune frère Jihyun aussi, lui manquait, mais ce n'était pas nouveau, déjà avant il était trop absent. Il vivait pratiquement chez leur grand-mère, qui logeait pas loin de son lycée, c'était donc un aspect pratique - d'autant qu'il pouvait ainsi lui tenir compagnie et s'occuper d'elle. Et également un moyen de fuir l'enfer dans la maison parentale. Jimin, lui, l'aurait bien suivi. Leur grand-mère était une femme adorable et d'une générosité sans borne, ce toujours dans la maladie, affichant un sourire qu'on rapprochait souvent à celui du blond. Pourtant il avait senti que ses parents avaient besoin de lui, ou plus exactement d'une présence, qui leur permettrait de s'en sortir dans tout ce bazar, de pouvoir penser un peu à autre chose que le divorce. Ça avait peut-être un peu aidé, au fond, que le jeune danseur soit là. Mais il avait l'impression que plus il sortait la tête de son père et sa mère de l'eau, plus la sienne s'immergeait. Il était devenu malheureux. Alors il avait voulu partir, fuir tout simplement. Redécouvrir tout ailleurs, dans une nouvelle vie.

Une pluie fine tombait au-dehors. Il avait mis une chaise près de la baie vitrée et posé sa joue contre la surface froide, les yeux fermés, écoutant les bruits de l'eau clapotant sur le bois de sa terrasse. Tout petit il avait peur de l'orage, et la pluie était annonciatrice de cette cacophonie, alors il se cachait sous sa couette. C'était sa grand-mère qui lui avait appris à repousser sa peur.

« L'orage indique que la pluie n'est pas loin, et tu sais ce que la pluie annonce Jimin ? La vie. Elle donne naissance à tout, à la nature, aux animaux, et à nous, aussi. Alors tu devrais l'aimer, et aimer le tonnerre qui est la puissance démontrant de toute cette force vitale incroyable. C'est normal que tu sois impressionné après tout, c'est ce qui fait que tu es là , vivant parmi nous.

Et elle posait son index contre sa poitrine d'enfant. Elle pensait souvent différemment des autres, elle avait ce côté calme et reposant, spirituel, qui faisait rêver son cœur de gamin. Il ne comprenait pas tout le sens de ce qu'elle avait voulu dire, mais il trouvait ça beau et dans ces moments-là , plus que l'orage, c'était sa grand-mère qui l'impressionnait.

- Et puis sinon tu sais ce que j'en dis, le mieux à faire c'est d'affronter sa peur. »

Il avait suivi son conseil, il avait pris son courage à deux mains et il avait décidé que tant qu'il subsisterait la moindre petite peur en lui, il passerait chaque orage à regarder par la fenêtre. Il affrontait le danger à sa façon. Il s'agissait en fin de compte surtout d'une ancienne habitude, qu'il avait repris quand il avait de nouveau craint l'orage.

La danse signifiait tout pour lui, c'était une escapade, la forme la plus intense de sa liberté. C'était à cause de cela qu'un jour, sa peur était revenue.

A ce moment-là, il y a deux ans, il était à Busan. Il rentrait de son cours du soir, il faisait nuit et il pleuvait en abondance. Et, quand on habite dans une ville en bord de mer, les bourrasques se font plus violentes. A l'époque il portait toujours des lunettes de vue et non des lentilles. Il n'avait pas de parapluie mais la station de métro n'était pas trop loin de chez lui, à pas dix minutes. Les verres de ses lunettes étaient trempés, l'empêchant de distinguer correctement. Il avait dû les retirer, il verrait mieux sans. Tout ne se passa pas comme prévu, puisqu'ils glissèrent d'entre ses mains et, dans la tentative de les rattraper, il tomba. Ce fut une mauvaise chute. Son pied se tordit dans un angle pas tout à fait naturel. Au début il n'eut pas mal, il fut surtout choqué de se retrouver par terre, sur le sol trempé. Puis la douleur survint, lancinante, le faisant piailler misérablement. Il regarda autour de lui mais la rue, inondée, était bien évidemment déserte. Au bout, sur une avenue plus grande, quelques voitures circulaient. Mais elles étaient loin et floues.

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