Un refuge.

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Le souffle délicat du vent caresse tendrement ses joues, écartant les larmes qui les inondent, ainsi que les quelques mèches de cheveux dissimulant son visage. Le pleureur y trouve un certain réconfort, et ses sanglots s'espacent peu à peu.

Les larmes continuent inlassablement de couler, mais il est maintenant silencieux, retrouvant petit à petit une respiration régulière et apaisée. Le vent le berce doucement, jouant amicalement dans ses cheveux en bataille, et s'engouffrant dans ses vêtements par intermittence, les gonflant et rafraîchissant sa peau ainsi découverte.

C'est son bord de toit, son petit coin de paradis pour pouvoir vider tout ce qu'il retient à l'intérieur quand il est en public. Ici, il peut crier de joie, hurler sa peine et cracher sa haine sans se soucier d'autre chose que de lui même. Il peut cautériser sa peine en lui laissant l'avantage sur son corps pendant le laps de temps qu'il reste ici, les jambes dans le vide, sans rien pour l'empêcher de basculer par dessus bord.

Ses pieds se balancent doucement, comme les vagues d'une mer calme, et un fin sourire vient lentement égailler sa face. Il songe avec ironie à son passage à vide, et à la raison de ses pleurs, en venant presque à rire de sa stupidité du moment.

Le vent l'a ragaillardi, il ne peut que lui en être reconnaissant. Il se redresse, et tend la main vers son sac, qu'il avait tantôt lancé avant de s'effondrer à côté, pour y prendre un mouchoir. Il s'essuie délicatement les joues et les yeux, et se mouche bruyamment dans un autre mouchoir. Son ventre gargouille brutalement, et il en rit de bon cœur, prenant le vent à témoin, puis se lève. Il se tient pendant quelques secondes là, en équilibre précaire sur le bord, sa jupe s'agitant autour de ses jambes au même titre que sa chevelure autour de sa tête.

Il recule d'un pas, les yeux fixés sur l'horizon, et s'émerveille de la beauté du coucher du soleil, avant de réaliser ce que ça signifie. Il fait brutalement volteface, et franchit la porte qu'il avait laissée béante, pour ensuite la refermer, ses clefs étant restées enfoncées dans la serrure. Il dévale les nombreuses marches à toute allure, saluant la concierge en coup de vent, puis se précipite jusqu'à l'arrêt de bus le plus proche. Haletant, il constate qu'il vient de rater le dernier, et que seuls ses pieds peuvent désormais le ramener chez lui.

La douceur du soir lui tient compagnie tout le long du trajet, et il imagine son retour à la maison. Il voit sa mère lui demander des explications, sur ce qu'il fait pour toujours arriver si tard. Il se voit déjà privé de sorties pour le mois qui vient. Son esprit s'éloigne rapidement de ses premières préoccupations, et il découvre presque avec étonnement sa porte d'entrée en face de lui. Il hésite sur la marche à suivre, et finit par enfoncer sa clef dans la serrure, priant intérieurement pour que tout se passe bien.

Sa mère l'accueille par un regard de reproche et un long silence, qu'elle finit par briser d'un murmure, lui demandant d'aller directement dans sa chambre. Il s'exécute sans bruit, et fait un crocher par la cuisine pour récupérer deux tranches de pain pour pouvoir se remplir la panse. Il est soulagé, mais ne peut s'empêcher de s'inquiéter.

Il préfère prendre le parti du coup de chance, plutôt que de s'imaginer mille et une catastrophes pouvant expliquer le trop grand calme de sa mère, pour pouvoir dormir plus sereinement. Il repasse sa journée au peigne fin pour trouver le sommeil, modifiant allégrement ses réactions pour empêcher la tristesse de le submerger avant de rejoindre son toit, et arriver à l'heure à la maison, sa mère l'accueillant d'un sourire, puis divague sur des histoires de dragons et de combats épiques pour sauver sa maisonnée, et sombre dans les doux bras de Morphée.

Les jours s'enchaînent, devenant semaines, puis mois. Il rend régulièrement visite à son toit, certains jours pour laisser exploser sa joie, d'autres pour pleurer, et d'autres encore, pour essayer de démêler ses pensées. Des fois, il pense à la concierge, et lui ramène quelques viennoiseries, et prend le temps de discuter avec elle pendant quelques minutes. D'autres fois, il n'a pas la tête à ça, et ne la salue que vaguement. Un jour, il ramène un carnet et dessine pendant une bonne heure en contemplant la ville. Un autre, il s'allonge simplement et ferme les yeux, rêvassant tranquillement au son du vent. Quand il pleut, il reste debout pendant quelques minutes sous son parapluie, les yeux clos, respirant le parfum de la pluie et se laisse bercer par son chant, avant de s'éclipser. L'hiver, il peut admirer le beau manteau blanc de la ville depuis son perchoir.

Un refuge.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant