Le monstre dans le placard.

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  Vous devez savoir autant que moi, pour peu que vous ayez été un jour un enfant, que les petits ont une imagination riche et débordante. Ils inventent sans cesse des choses et se créent des peurs irrationnelles que leurs parents ont bien souvent du mal à comprendre.

J’ai été un enfant, moi aussi. Ce que je vais vous raconter, vous avez déjà dû en entendre parler, car bon nombre de bambins ont déjà eu ce genre de peur, et on la retrouve dans beaucoup de livres pour enfants.

Assez parlé, voilà mon histoire.

   Je devais avoir trois ans. J’étais donc une petite fille insouciante et crédule. J’étais à l’école, en grande section de maternelle. La maîtresse venait de nous lire une histoire intitulée « Le monstre dans le placard ». Comme vous avez sans doute pu le deviner, il s’agissait d’une histoire où le héros, un petit garçon de cinq ans, avait trouvé un monstre poilu et baveux avec de grandes dents dans son placard. Il avait donc appelé son papa, un grand homme courageux et costaud, qui avait fait fuir le vilain monstre à coups de balai. A la fin de l’histoire, le petit garçon n’a plus peur et mange un gros gâteau au chocolat avec tous ses amis.

Une histoire naïve, pour des enfants naïfs. Essayez de lire des livres pour enfants, ils sont quasiment tous du même acabit.

Revenons à notre histoire…

À la fin du livre, nous étions tous heureux et soulagés pour le héros, puis nous allâmes goûter. Pendant que je mâstiquais mon pain au chocolat, mon voisin me dit :

« Tu sais, il y a vraiment des monstres qui se cachent dans les placards pour faire peur aux enfants !

- C’est même pas vrai, d’abord ! me défendis-je, méfiante.

- Si, c’est mon grand frère qui me l’a dit. La maîtresse nous raconte ces histoires pour qu’on n’ait pas peur.

- Comment il le sait, ton frère ?

- Il a dit qu’il avait trouvé un monstre dans son placard quand il était petit, et qu’il s’était fait mordre, a-t-il affirmé.

- Mais… C’est dangereux ? ai-je demandé, anxieuse.

- Oui, on peut se faire manger tout cru ! »

Je me suis tue. Comme toute petite fille de cinq ans, j’avais gobé tout rond son histoire, et cela commençait à me faire peur.

Nous sommes alors sortis de la cantine pour retourner en classe. Nous avions des coloriages à faire, mais les crayons étaient rangés dans le placard. La maîtresse me demanda de les prendre et de les distribuer à mes camarades.

Je regardai la maîtresse, complètement terrifiée, et me mis à pleurer. Elle ouvrit de grands yeux et s’approcha de moi, inquiète.

« Pourquoi pleures-tu ? Tu t’es fait mal ?

- Non.

- Alors, que se passe t-il ?

- Je veux pas ouvrir le placard.

- Pourquoi ?

- Parce que le monstre il va me manger. »

La maîtresse passa la main dans mes cheveux et se mit à rire, soulagée de voir qu’il n’y avait rien de grave.

« C’est pas drôle, ai-je couiné, vexée.

- Ma puce, il n’y a pas de monstres dans les placards. Ils n’existent que dans les histoires ! »

Je hochai la tête, peu convaincue, puis me rassis à ma place. La maîtresse alla chercher les crayons et les distribua à tous les élèves qui commencèrent leurs coloriages.

A la récréation, j’allai voir le garçon qui m’avait raconté des histoires, lui répétai ce que la maîtresse avait dit, et le traitai de menteur. Il me répondit :

« C’est normal qu’il n’y ait pas de monstre dans le placard de la classe ! Ils ne viennent que la nuit !

- Tu es sûr ?

- Evidemment, c’est mon frère qui me l’a dit ! »

Je pris congé de lui. Le reste de la journée se passa sans encombre.

Mais la nuit fut plus agitée.

J’étais dans ma chambre, dans mon lit, il faisait noir, ma mère venait d’éteindre la lumière. Soudain, j’entendis un bruit sourd qui semblait venir de mon armoire. (C’était en fait un voisin qui avait fait tomber quelque chose, mais je ne pouvais pas le savoir.) Les rouages de mon imagination se mirent en branle, et l’image du monstre poilu aux dents aiguisées s’imposa dans mon esprit.

Je hurlai :

« Mamaaaaaan !!! »

Ma mère déboula en trombe dans ma chambre et me demanda ce qui n’allait pas. Je lui expliquai toute l’histoire et elle me répondit la même chose que la maîtresse :

« Les monstres n’existent que dans les contes.

- Mais c’est un garçon qui a dit que son frère s’est fait mordre !

- Il raconte des histoires pour te faire peur. Regarde, je vais ouvrir le placard. »

Elle se leva et ouvrit la porte de l’armoire. Je me cachai la tête sous la couverture, puis, quelques secondes plus tard, risquai un regard vers le meuble. Rien. Pas de monstre, pas de croc pointu. Juste quelques pulls, pantalons et tee-shirts. Je regardai ma mère, puis je souris, soulagée. Me voyant rassurée, elle m’embrassa sur le front et sortit. Je me couchai et ne tardai pas à m’endormir.

Le lendemain, à l’école, je retournai voir mon « informateur » et lui lançai :

« T’es qu’un menteur ! Les monstres ça existe même pas !

- Si, ils existent !

- C’est pas vrai ! Tu dis n’importe quoi ! »

Sur ce, je tournai les talons en le plantant là puis ne me souciai plus du tout de cette histoire.

(Notez que les enfants peuvent sans problème tirer un trait sur une mésaventure, voire l’oublier totalement, ce qui n’est pas très facile pour la plupart des adultes.)

   Vous êtes encore là ? Voilà, c’est fini, c’était une histoire banale qui montre à quel point la petite fille que j’étais était naïve.

Un peu comme tous les enfants.

Le monstre dans le placard.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant