-1- COUP POUR COUP

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JONAS WRIGHT

Jonas passe avec férocité les portes du R-4. Il est 7h56, il a quatre minutes d'avance, le café est presque vide, prisonnier de son inertie. Le soleil est à peine levé et ses rayons ne parviennent pas à transpercer les deux larges fenêtres de la devanture. Les carreaux vitrés, saupoudrés d'un voile de poussière, laisse entrevoir des empreintes de doigts, éparses, principales témoins d'une présence humaine. L'espace est sombre et imprégné d'une écœurante odeur d'humidité. De vieux tableaux enfermés dans des cadres de bois tentent de dissimuler la laideur des murs de brique mais ne suffisent pas à égayer la froide atmosphère. Le sol est paradoxalement usé comme si une horde de chiens s'était mise à gratter chacun des carreaux de ciment bleu. Un lieu sordide où seuls les habitués et les infortunés se rendent pour leur café du matin.

A son arrivée, les deux clients Entraviens présents, arpentent des regards méfiants à l'attention du jeune et impétueux Aurien. La jalousie se mêle à la haine résultante de leur trop grande différence. Ils ne viennent pas du même monde. Les uns viennent de celui de la terre tandis que Jonas vient de celui du ciel. Ce dernier, le torse bombé d'orgueil, rejoint le comptoir couvert d'une multitude de cercles sombres luisant sous la lumière d'un lustre effacé dans un coin de la pièce. Le barman attend sagement la commande de cet improbable client. Ses petits yeux sombres un peu trop serrés l'un de l'autre expriment une timidité difficilement dissimulable. La crainte se lit sur son visage, comme s'il en était l'allégorie.

-  Café, gronde Jonas tout en consultant l'heure sur son poignet : 7h57.

C'est bien la première fois qu'il a de l'avance. Les secondes défilent lentement et les muscles du jeune homme se crispent. Il imagine son ennemi ployait face à lui, il l'imagine avouer ses crimes le regard supplicié et les doigts entrelacés de terreur. Il prépare son amorce : « je viens de perdre un pari, j'aurai juré que tu aurais filé la queue entre les jambes en me voyant ». Il ricane intérieurement. Non, il ne veut pas le provoquer inutilement, il cherche des réponses, et pour cela, il doit savoir lui poser les bonnes questions.

Le barman réapparait et pose une tasse fumante près de l'Aurien. Jonas perçoit la terreur qu'il inspire chez les Entraviens à travers la main tremblante de celui qui lui tend la boisson noire. Des lâches. Les habitants de l'Entrave sont ainsi constitués, c'est leur nature, celle qui détermine leur lâcheté et leur faiblesse. Jonas Wright a tous les droits. Il souhaite et obtient. C'en est ainsi de tous les Auriens et c'est l'ordre des choses. Ils exigent et ôtent. Rien ne saurait sanctionner leur aura de pureté. Ils réclament et arrachent. Rien ne saurait les contredire, pas même la justice. Les lois instaurées renforcent leur pouvoir à chaque sentence prononcée envers un habitant d'un Cercle inférieur. L'ordre est immuable et juste. Ainsi, le barman essuie les verres tout en gardant un œil troublé sur l'Aurien tandis que les autres clients tentent vainement d'oublier sa présence. 7h59. Il décide d'envoyer l'alerte, comme il l'avait prévu. L'écran de son téléphone portable se déploie dans sa main, il écrit : « Rendez-vous au R-4 au plus vite. Le plan se maintient. » 8h00 le message est envoyé. Dans quelques minutes, une dizaine d'Auriens apparaitront dans la deuxième avenue. Ils se posteront aux abords du R-4 et maintiendront les Entraviens dans la peur, celle qui est nécessaire à l'autorité Aurienne. Josh sera prit au piège et devra répondre de ses actes en plus de l'indispensable humiliation qu'il subira.

La porte s'ouvre. L'Entravien s'invite dans l'espace lugubre et rejoint l'Aurien qui l'attend au comptoir. C'est la première fois que Jonas a l'occasion de le rencontrer en dehors de la paroi vitrée d'un écran d'ordinateur. En dehors de tout ce qu'il avait imaginé, Jonas demeure surpris par l'imposante carrure du jeune homme qu'il n'aurait jamais attribué à un Entravien. Sa peau est pâle de crainte et des cheveux sombres et bouclés recouvrent disgracieusement le sommet de son crâne. Son regard sombre et pénétrant semble poignarder le jeune Aurien. Rejetant l'autorité naturelle de son adversaire, Jonas se lève et lui répond d'une fusillade de ses yeux clairs. Il doit répondre de son erreur sans riposter. Une pluie, fine dans un premier temps, se met à couler le long des vitres avant de s'intensifier, provoquant la résonnance de milliers de claquement succincts. Dans peu de temps, les Auriens encercleront le R-4. Josh ne pourra pas s'enfuir. Il n'y a pas d'échappatoire à la fin funeste. Il est la proie, je suis le prédateur. C'est l'ordre des choses. Mais l'autre belligérant ne semble pas, aux yeux de Jonas, accepter sa position d'infériorité et en retour, il soutient son regard téméraire. L'Aurien s'agrippe avec fermeté au comptoir si bien que ce dernier est sur le point se briser sous ses doigts tant sa rage est terrible. Il engage d'une voix sèche, éprise de rage :

HUMANOù les histoires vivent. Découvrez maintenant