L'Erreur

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06:18 Le réveil sonne...
06:33 Le réveil sonne pour la troisième fois donc j'allume la lumière sur ma table de chevet. Elle éclaire le mur, ce qui fait office d'éclairage indirect. Parfois cette pièce qu'est ma chambre me paraît si vide dans le noir d'une matinée d'hiver.
Je me motive et me lève, enfile un peignoir et me dirige à la salle de bain.
06:59 Après avoir pris une douche qui me réveille définitivement, m'être inspecté dans le miroir pour me dire que je devrais définitivement me raser, puis m'être habillé à l'habituelle, je suis prêt.
07:27 Fin du petit déjeuner. Encore une journée banale. Direction le magasin que j'ouvre tout les jours à 8h. Heureusement il est pas très loin et je me retrouve sur place en 30 minutes.
07:56 Arrivée devant ce foutu store métallique qui me casse le dos chaque jour. Tout les jours ce même mouvement : je me baisse, je tourne les clés deux fois dans la serrure, je tire un petit coup sec car il coince souvent au début, puis je fais marcher mes lombaires et tire de toutes mes forces alors que la rouille complique l'ascension du mur métallique.

        Cela fait maintenant 5 ans que je tiens cette boutique de jeux vidéo. Le rêve pour un adolescent qui viens d'obtenir son bac, mais qui a raté sa fac de médecine. Et alors que les années défilent je suis toujours derrière ce comptoir, en attendant les reflets de mon passé. Ces jeunes qui ont comme moi à une époque, la passion du 10ème art : le monde vidéo ludique. Je ne voudrait pas leur donner tort, ils ont parfaitement raison de profiter. Mais je commence à avoir quelques regrets, je pense que j'ai fais une erreur quelque part.
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        ‎Il s'avère que dans ma vie de lycéen j'ai eu de nombreux problèmes. Souvent causés par mon manque de tact et de discernement : je disais tout haut ce que je pensais, et la plupart du temps je me confiait aux mauvaises personnes. Il m'arrivait aussi de me retrouver dans certaines situations délicates, car il me manque quelque chose : le sixième sens, celui de comprendre ce qui est implicite, les signes avant-coureurs, le "feeling" ; tout ces pré-requis pour vivre en société sont absents de ma conscience. Comme un disque rayé, une suite incomplète, une déformation  psychologique, j'était et je suis encore  incapable de comprendre l'autre.
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       Cela fait donc plus de 20 ans, soit trop longtemps que je suis seul. Je suis incompris des autres et ne les comprends pas. C'est comme si les gens autour de moi parlait un dialecte inconnu, une langue étrangère. Ils me dévisagent quand je ne comprends pas le second degrés, les blagues, les sous-entendus, les références. Cela fait de moi une bête de foire, une anomalie, un exclu, un reclus, un Hermite de la société.
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        ‎ Maintenant que vous savez les pensées de quel genre de monstre vous lisez, entamons la partie la plus intéressante.
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        ‎ Depuis maintenant deux semaines, une femme vient tout les jours, approximativement à la même heure. Elle fait des études approfondies littéraires, en calligraphie historique occidentale ou je ne sais quel délire. On a environ le même âge, et elle a l'air de s'intéresser un peu au monde des jeux vidéo. Mais elle vient toujours pour discuter, me porter compagnie. Elle n'est donc pas une cliente. Mais je me pose sans cesse la question : Pourquoi ? A-t-elle pitié de moi ? Est-elle mon amie ? Comment lui poser la question, comment la comprendre, ou même réagir ?
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        ‎ Ce que vous ne savez pas, ce que ce soir, nous sommes censés aller au restaurant ensemble. J'avoue que je suis un peu stressé, angoissé même. Je ne sais pas ce qui m'attend. Je m'habille donc au mieux. Me met sur mon 31 pour ce qui sera peut-être mon exécution.
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20:27 Cela fait maintenant une heure que j'attends, j'ai toujours eu beaucoup de patience, et elle n'est toujours pas arrivée. J'appelle le serveur, pour qu'il remplisse une énième fois la barquette de pain. Puis je me ressert un verre de rouge... J'espère peut-être que boire m'aidera à patienter, ou l'attirera. Malgré tout l'espoir que j'ai les secondes passent, les minutes suivent... Et alors que je m'apprêtais à me lever, je la voie entrer. Habillée à son habituel, de sa chemise blanc cassé et son jean indigo, une simple et fine chaîne autour du cou pour agrémenter le tout. Aussi belle que d'habitude. Je l'invite donc à s'asseoir, on s'échange des banalité, elle blague, je rigole, je rebondi alors, en utilisant le peu de culture qui me reste des classes de français. Elle rit, je crois que ça lui plaît. On se sourit l'un l'autre. Et le dîner passe, le temps passe, la soirée passe...
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21:38 Nous voilà maintenant en fin de repas, on attend les desserts. Je ne sais comment me lancer, poser des questions. Mes mains sont moites, et alors que j'ouvre la bouche, le dessert arrive. C'était deux bananes flambées, au rhum Saint James (bon goût et bon choix à mon avis). Me vient alors une idée. Je m'empare d'un morceau de ma banane, et l'amène à ma bouche, et la regardant droit dans les yeux mime un acte érotique avec un grand sourire. Elle manque de s'étouffer, et rigole. C'est alors qu'elle rajoute : "Qu'est-ce que t'es bête, tu me fais vraiment penser à mon frère. Vous êtes deux idiots finis, timbré jusqu'au bout. Mais il habite pas la porte à côté lui, et il doit être  en voyage à l'heure qu'il est. Il devait faire ses études en Inde, mais il a pris des "vacances". Et justement vu qu'on en vient à parler de ça, il fallait que je te dise quelque chose. Je compte partir au Canada pour continuer mes études. Ils possèdent des universités qui correspondent tout à fait à mes attentes. Donc je comptais te tenir au courant, d'où le restaurant. Je voulais aussi te dire au revoir. Mais ne t'inquiète pas, on pourra garder contact tout de même." Une fois sa déclaration finis elle me souri, c'était un sourire sincère. Et je lui rendis, tout aussi sincère. Nan mais quelle chance quoi ! Partir au Canada, faire les études de ses rêves. Je l'enviais d'une certaine manière mais ne pouvais m'empêcher de sourire comme un idiot, ravis à l'idée qu'elle puisse vivre une belle vie. Réussir à accomplir ses rêves.
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22:04 Le repas finis, nous discutions de ses projets, de mon manque de projets. De ce qu'on avait fait comme bêtises enfants. Ce genre de discussion pour se connaître et passer le temps, alors que nos pas nous ramenait respectivement chez nous. Moi vers le bus qui me ramènerai à mon appartement miteux. Elle vers la tram de métro qui la mènerait chez elle, à son appartement T4 (qu'elle partageait à une époque avec un mec si j'ai bien compris). Nous nous souhaitâmes une bonne soirée, même si la nuit était bien entamée, et dans quelque heures pointerai le jour. Alors chacun reparti de son côté.
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        ‎Une fois chez moi, je me déchausse, retire mon jean, enlève mes chaussettes, et me laisse tomber sur mon lit, habillé d'un simple boxer et de mon t-shirt de la journée. Je n'ai plus l'énergie de lire ni même d'utiliser mon téléphone ou un quelconque écran. Je me met donc sous ma couette, attendant patiemment que le sommeil m'emporte.
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       Mais l'insomnie guettais dans la nuit. C'est alors qu'un long frisson de peur, morbide, glacé, remonta le court de mon échine. La pensée que je fût trompé à un moment et que les conséquences seraient désastreuse me frappa, tel une lame qui mordue ma chair tendre, tiède, et vulnérable. Dans cette chambre qui est la mienne. Si froide. Je n'avais nul part où fuir... J'étais cerné ; l'erreur avait déjà été commise.
        ‎ J'étais amoureux, elle m'avais inconsciemment appris à être humain et je n'avais pu la retenir...

Les Nouvelles du Phoenix Où les histoires vivent. Découvrez maintenant