Ton regard

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 « Je voudrais que tu sois près de moi, mais j'ai peur, quand tu me touches, que ta bouche soit trop près de ma vie et l'encercle de ses souffles. » ▬ Yves Simon.


Quand je le regarde, je me demande à partir de quel instant je suis tombé amoureux. Parfois, je croise le bleu de ses yeux, l'océan sous ses paupières, et je me dis : c'est là, c'est à ce moment-là. J'ai croisé le bleu de ses yeux et je m'y suis noyé. D'aussi loin que je me souvienne, la tempête a toujours été dans son regard ; il y a le vent et les vagues qui nous engloutissent et moi, je n'ai pas su résister. Son eau est entrée dans mes poumons, son vent est devenu mon oxygène et sans que je ne m'en aperçoive, il est devenu mon tout, mon sourire et mes larmes, ma tempête. Ma plus grande et ma plus merveilleuse tempête. Il est arrivé et a tout rendu plus beau, plus lumineux ; il m'a montré quelle était la vraie définition de « vivre » et je n'ai jamais cessé de l'appliquer depuis lors. J'aurais aimé qu'il s'en rende compte, j'aurais aimé qu'il le comprenne, que, sans lui, j'aurais stagné, le monde serait resté blanc et noir. Grâce à lui, j'ai pu entrevoir les couleurs, j'ai pu coloré mon existence de bleu océan, de bleu tempête, et que ça avait été merveilleux à voir.

- Parfois, j'ouvre les yeux, je regarde le ciel gris au-dehors et je pleure. Les nuages qui grondent leur colère font écho avec mes sanglots et les cris dans ma poitrine qui ne veulent pas sortir. J'aime la pluie, parce que c'est la seule chose qui me reste. Toi, t'es parti avec le soleil. Ca n'est pas très grave. Tu mérites toutes les étoiles dans le ciel. Tu sais ? Tous ces amas de lumière qui flottent dans le vide.


Je le regarde et déglutis, incapable de répondre. Que devrais-je dire ? Que je suis désolé ? Je le suis. Tellement. Mais j'aurais beau le répéter, le hurler, le sangloter, encore et encore, je sais qu'il ne m'entendra jamais. J'aimerais pouvoir retourner en arrière, pourtant. Changer les choses. Nous accorder un peu plus de temps. C'est ce qu'on dit toujours : profitez du temps qu'il vous reste, parce que la vie est courte, ce genre de conneries. Mais personne ne s'en rend pleinement compte avant de se retrouver au pied du mur. J'aurais rêvé de pouvoir faire les choses autrement, correctement, sans erreurs cette fois. J'aurais aimé avoir un bouton pour remonter le temps ; mais ça n'existait pas, pas dans ce monde-là. Je pourrais dire que je fais avec, que j'assume et porte pleinement le poids de mes erreurs, mais ça serait mentir. Je suis tombé amoureux, je me suis fait aimer en retour, et j'ai foiré. Je ferme les yeux. C'est dur de le regarder, de l'avoir en face de moi et de me rendre compte de tout ce que je manque en cet instant. Ses mains sur ma peau. Ses lèvres sur les miennes. Elles tremblent, ses lèvres. Il fait froid, et moche. Comme si même le temps avait décidé de se moquer de nous. J'ai envie de tendre les bras, de le serrer contre moi, le réchauffer, mais je ne bouge pas. Moi aussi, j'ai l'impression d'être glacé.


- Je me souviens de ton rire à chaque fois que je les regarde, ces boules de lumière. Je me souviens de ton rire et de ta main qui tire mon bras jusqu'à la fenêtre, ton doigt qui pointe le ciel dégagé et tes yeux qui brillent. Je n'ai jamais eu l'occasion de te le dire, mais mes constellations préférées sont celles de ton regard. Tu as l'univers entier sous les paupières, que je pouvais admirer de tout mon soul dès que tu étais près de moi. Je crois que je suis tombé amoureux de ces étoiles-là en premier. Ouais. Je crois que je suis tombé amoureux de ton regard en premier. Et ensuite, de ton rire. Rauque et grave. C'est cela que tu as apporté dans ma vie ; des rires. Plein de rires. Je l'entends encore, parfois, dans mon sommeil. Je me réveille alors en sursaut, espérant te voir à mes côtés, m'annonçant en riant que tout cela n'était qu'une putain de blague, mais il n'y a que le vide et la place que tu as laissé froide à mes côtés. Alors je regarde le ciel gris au-dehors, et je pleure.


J'ai envie de rire. C'est pathétique. Il a fallu qu'on se retrouve là pour se rendre compte de tout ce qu'on ne s'est jamais dit. Je n'ai jamais eu l'occasion de lui dire, moi non plus, que ce sont ses yeux qui m'ont engloutis en premier. Je me souviens pourtant de l'avoir fixé un bon nombre de fois, sous son air un peu perplexe, un peu perdu, me demandant ce que j'étais en train de faire, mais je n'ai jamais été capable de répondre. Maintenant, j'aimerais lui dire : je suis en train de t'aimer. Je suis en train de me noyer, là, dans ton regard, tu ne me sens pas ? Mais je ne peux plus. J'ai juste un droit de silence, désormais. Tant de mots jamais énoncés, d'aveux avortés, je m'en rends compte trop tard, je n'ai jamais assez parlé, je n'en n'ai jamais assez dit, je pensais que si et j'ai eu tellement de possibilités de le faire, pourtant. Mais je me suis tu. Combien de fois ? Combien de fois j'ai ouvert la bouche, les mots juste là, sur ma langue, à deux doigts d'être sortis, d'être crachés, d'être vomis, pour que finalement aucun son ne se fasse entendre ? J'aurais dû lui dire que je l'aime. Voilà. Une fois de plus, lui dire ce que je ressens pour lui, ce que je ne ressentirais jamais pour quelqu'un d'autre. 


- J'ai l'impression de ne pas t'en avoir assez dit. J'étais le plus silencieux de nous deux, parce que je pouvais t'écouter parler pendant des heures sans m'en sortir ennuyé, mais moi, j'aurais dû t'en dire plus, peut-être que ça aurait pu changer quelque chose, juste un mot de plus, un « reste », un « je t'aime », n'importe quoi. J'aimerais tellement te dire que je t'aime, une fois de plus. Voir tes yeux pétiller et tes joues rougir comme si c'était la première fois que tu l'entendais, comme si tu n'en revenais toujours pas. C'est moi qui n'en revenais toujours pas.

Je ne me suis jamais habitué à ses je t'aime. C'était une surprise pour moi de découvrir à chaque fois, qu'un être aussi merveilleux que lui puisse m'aimer. Ce n'était même pas un manque de confiance en moi ; il suffisait de le regarder pour savoir qu'avoir son attention avait quelque chose de magique.


- Mais même si je te le disais maintenant, je ne sais pas si tu m'entendrais.


Sa tête se relève un peu et pendant un instant, j'ai l'impression qu'on se regarde dans les yeux, comme autrefois. Je peux admirer pleinement ses pupilles bleues, et elles sont plus sombres que dans mon souvenir ; la tempête y fait rage, l'océan est en furie et les larmes sont au bord de ses yeux. Ca me tord le cœur. J'ai l'impression qu'il me regarde, mais je sais qu'en réalité sa vision se projette au-delà de moi. Parce qu'il ne me voit plus. Il se penche et dépose le bouquet, là, sur la tombe entre nous. Ma tombe.

- Je t'aime.


Il essuie ses yeux de sa manche, inspire et regarde le ciel. Je suis le mouvement. Au-dessus de nous,
les étoiles sont couvertes d'un épais nuage gris.  

Ton regard // LarryWhere stories live. Discover now