"Maxime tu descends ! On mange !"
"Oh il n'y a pas d'apéritif ?"
"L'apéritif c'était pour les grands ; va t'asseoir là bas Ermeline."
J'ai mis la table ce midi. Même si ce n'était pas mon tour, je n'ai pas rechigné. Je ne sais pas où me mettre. J'ai 14 ans, est ce que je suis trop jeune pour manger avec les adultes ? Ou bien trop vieux pour m'asseoir à la table des petits ? Je n'aime pas choisir ; alors j'ai le derrière entre deux chaises. Je m'assois le plus à gauche du côté des enfants, mais pas trop près des grands, de peur d'être rétrogradé sèchement.
Tel un défilé d'acteurs lors des Césars, tous les membres de la famille arrivent petit à petit... Le prix à gagner : le privilège d'être en bout de table. Tatie Danièle arrive la première, elle est élégante et gracieuse avec ses talons et sa robe, elle marche comme si elle avait toujours un tapis rouge sous les pieds ; sa flûte de champagne à la main lui donne un air distingué. Mais elle s'arrête, et attend son mari ; évidemment, le bout de table n'est pas réservé à la première arrivée, mais bien au premier arrivé. Tonton Maurice arrive d'ailleurs, se dandinant comme un vieil éléphant, de sa démarche lourde et un peu pataude il prend place sur le trône. Puis les courtisans arrivent à sa suite : mes cousins, cousines, ma marraine, mon grand père et ma grand mère ferment la marche.
La table me paraît étroite et interminable, et moi, coincé entre le bout et le milieu, je me fais tout petit. J'observe chacun des visages, ils ont tous l'air impatients ; tout le monde attend. Le seul trouble de ce silence reste ma petite soeur, qui a gardé sa poupée et lui chuchote des petits mots discrètement, sous la table.
Ma mère arrive enfin, elle tient deux grands plateaux de bouchées à la reine. Son entrée provoque un éblouissement sur les visages, les yeux brillent de gourmandise. On dérange les bouteilles et les verres pour faire place au hors d'oeuvre. Les tintements des verres qui s'entrechoquent, les froissements des serviettes, les gargouillements sourds des estomacs témoignent de l'empressement.
"Mais servez vous ! Elles sont toutes chaudes, faites attention de ne pas vous brûler surtout."
Tout le monde se sert, on fait des commentaires sur la présentation, mais tout de suite les mâchoires mastiquent, les bouches engloutissent ; et l'appétit vorace se satisfait peu à peu.
Nous, nous attendons patiemment que tout le monde soit servi, nous avons les râtées, tout le rebus du plateau, mais personne ne se plaint ; de toute façon, le seul à manger les bouchées à la reine du côté des enfants c'est le chien, attendant la gueule béante nos entrées.
Tout ce qui subsiste : quelques miettes dans les assiettes. Et nous allons pouvoir passer au plat de résistance.
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Tout un plat
Short StoryUn repas de famille, une famille dépareillée, emmêlée et compliquée. La spontanéité des débats, l'innocence des enfants, les discussions des grands : une drôle de choucroute. Une histoire normale, banale et pleine de monotonie : un repas de famille...