Le plat

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Le plat principal est mon moment favori du repas ; c'est aussi celui qui dure le plus. Avec mes frères et soeurs nous débarrassions la table, quand Tatie Danièle me tira le bas de ma chemise en me faisant signe de m'approcher... 

"Viens là mon grand, j'ai vu ce que vous avez fait avec le chien... Tu n'aimerais pas que je dise à ta maman qu'elle cuisine pour le cabot ? Et que vous jetez les bons petits plats qu'elle prépare ? Bon. Écoute, en ce moment j'ai besoin d'argent, ça ne te regarde pas, mais si tu arrives à prendre  un billet ou deux dans le porte monnaie de ta mère, je ne dirai rien. Je sais que toi et tes frangins le faites souvent, bande de petits garnements. Ça ne sera pas bien difficile" 

Son monologue, à demi-silencieux dans mon oreille, se fit vite remarquer, je la coupais en essayant de repartir mais elle me tira l'oreille en me jetant un regard sévère. Je savais depuis longtemps les petites affaires de ma tante. Mais sa menace me surprit, j'étais la cible de complots au sein de ma propre famille. Car oui, il s'agissait bien d'un complot ; Tatie Danièle trompait mon oncle quasiment depuis leur mariage, et elle jouait aux jeux ; elle aurait pu demander de l'argent à une amie mais non, c'est bien plus délicieux de voler dans les poches de sa soeur qu'on jalouse depuis sa naissance. 

Je connaissais toutes les petites histoires de chacun des membres de ma famille. Je m'étais fait l'espion, je ne devais mes renseignements à personne ; je travaillais à mon compte, même ma grande soeur Élisabeth, dont j'étais proche, ne savait pas autant de choses que moi. Je savais tout, mais ne disais rien. J'étais à mon compte ou au compte de tout le monde, je travaillais pour tous mais gardait tout pour moi. C'est pour cela que je décidais d'obéir à la requête de Danièle. 

Perdu dans mes pensées, je fis tomber une fourchette de l'assiette que je portais à la cuisine. Le bruit, électrisant, résonna sur le carrelage et produisit une onde qui se promena jusque dans les tympans de ma mère ; qui accourut aussitôt me gronder. 

L'instant où nous déposions les couverts à la cuisine était un moment de commérages. Élisabeth s'approcha donc de moi...

"Eh dis donc, qu'est ce qu'elle t'a dit la vieille endimanchée là bas ? Ça avait l'air d'être long et important dis moi !" dit-elle en me pinçant la joue.

"Pfff rien, tu sais comme elle est, elle demandait si il ne restait pas du champagne, sa coupe lui paraît vide..." Dis-je à mon tour, en ricanant.

Nous retournions à nos places, en file indienne, comme des serveurs de restaurants, âgés de 4, 6, 13, 16 et 17 ans. Pourquoi est-ce que les gens faisaient beaucoup d'enfants ? Pour animer leur maison vide ; ainsi la transformer en école militaire très disciplinée, ou en restaurant distingué rempli de serveurs bien habillés. La nôtre se trouvait être entre les deux, au garde à vous toute la journée, mais chargés de toutes les corvées.

Ma mère se chargea d'amener le plat ; un plat d'exception, réservé aux grandes occasions, très gastronomique : le pot-au-feu. Ce ragoût immonde dans lequel flottait les quatres morceaux de viandes de la semaine, auquels on avait ajouté quelques légumes, voilà le repas de famille. La grande gastronomie française. 

Là, nous étions servis en premiers. Même le chien était retourné à sa pâtée. 


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⏰ Dernière mise à jour : Nov 13, 2017 ⏰

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