Les prémices d'une nouvelle vie

30 5 28
                                    

Le ciel était d'un bleu profond sans nuage pour perturber cet équilibre parfait. Une brise légère soulevait les drapeaux et les cheveux des marins cachés sous un bonnet bleu marine à rayures blanches. Un homme traversa le ponton pour aller caresser la coque en bois d'un grand  navire. Cet homme portait un long manteau noir descendant jusqu'à ses pieds. Sa chevelure noire volait autour de son visage mais l’individu resta immobile. Il admira le trois mâts. Je le vis détailler de ses yeux toutes les coutures du bateau familial des Duberley. Ce navire avait une longue histoire derrière lui. Le Fortuna avait appartenu, il y a deux siècles de cela, à des pirates. Marc la terreur, le premier propriétaire, avait acquis ce navire en jouant au poker. Une partie remportée et le Fortuna devint sa possession. Kenn le rouge prit la relève puis se noya quelques années plus tard lors d'une terrible tempête. Joe le malheureux mourut mystérieusement, son équipage avec lui. Le Fortuna fut abandonné un certain temps avant d'être retrouvé et remit à neuf. Le voici aujourd'hui, resplendissant dans le port de la petite ville de Cochin en Inde. Assise sur le rebord de la fenêtre de notre maison, mes pieds pendant dans le vide, je laissai la brume du soir me rafraîchir. La journée, la chaleur était écrasante alors je profitais de cette douceur bienvenue. J'avais également besoin de calme et de solitude. Mon grand-père venait de mourir. Après 72 ans de vie, il était parti. Il avait disparu avant de m’en dire plus sur son secret. Un secret qu'il se réservait de me dévoiler le jour de mes vingt ans. Je regardais le soleil se coucher lentement à l’horizon et peindre l’océan d’orange. L’homme se détourna du Fortuna et rejoignit le port. Je le suivis des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière une bâtisse. Pitāmahan (1) m'avait pris à part, le jour de mon premier bal, le jour de mon quatorzième anniversaire, et il m'avait chuchoté à l'oreille que lorsque je serais assez forte, assez expérimenté, je trouverais le secret qu'il avait caché. Un secret très convoité par les marins. Bien que j’eus insister pour en savoir plus, il m’avait seulement indiqué qu'il avait caché l'objet dans un lieu inconnu. Il me glissa également une lettre dans la mains que j'avais apprise par coeur :

La force est une chose, l'intelligence en est une autre. L'expérience forge les esprits, l'ignorance force à la découverte. Vole sur les vagues et dirige toi vers l'inconnu du nom de sagesse, du nom de temps, du nom de domaine, du nom de jñānam (2), du nom de kālam, du nom de deāmeyn.

Bien qu'elle aurait été incompréhensible pour mon père, qui pourtant est capitaine du Fortuna depuis sept ans, moi, je savais. Je savais où aller. Au domaine de la sagesse du temps. Ce domaine est situé sur une petite crique, loin de l’Inde. Un pays lointain, celui, où il y a naufragé un jour. Je soupirai et essuya une larme qui commençait à couler. J'entendis ma bonne m'appeler d'une voix sourde à travers l'épaisseur de la porte. Je me précipita et entra dans ma chambre. Je ferma la fenêtre brusquement et courut m'asseoir devant mon pupitre. La lourde porte de bois s’entrebailla et Jann passa la tête.

- Madame me demande de vous informer que les invités sont arrivés.

- Dis à Mère que je descends les rejoindre.

Elle me souria et referma la porte derrière elle. Je m’effondrai sur mon bureau. Ces soirées étaient interminables et un vrai calvaire. Pitāmahi (3) , Père, Mère, mes deux petits frères jumeaux, Alexandre et Louis, ma grande soeur, Juliette ainsi que Charles, mon grand frère, nous rejoignons dans le grand salon pour écouter les fables de nos invités du jour. La nuit dernière, c'est quatorze personnes qui ont partagés avec nous à tour de rôle leurs aventures. Je me redressai et me fixa dans le miroir qui pendait à un mur. Mes cheveux relâchés encadraient mon visage ovale. Mes yeux démaquillé semblaient larges. Je me postai devant ma coiffeuse et traça un trait noir au dessus de mon oeil noisette. Avec un trait blanc habile, je rétréci mes yeux et à l'aide d'un fard à paupières rose pâle, je les sublimaient. J'attachai mes cheveux dans un chignon sophistiqué et m'appliqua un rouge à lèvre clair et discret. J'enfilai une robe longue bleu et attachai un gilet sur mes épaules. Mes parents profitaient souvent de ces soirées intimes pour me présenter à des prétendants et tenaient à ce que je sois présentable. Je soupirai et m'entraîna à faire des grimaces. Je me dévisagea un instant avant d'exploser de rire. Je me trouvais ridicule à porter ces déguisements. Mais je me promis une chose, mon visage devenant sérieux, que je ne resterai pas dans cette situation. Un jour, je partirais. Un coup d'oeil discret de ma bonne dans la chambre me sortit de mes pensées.

Du secret au voyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant