Calme à l'horizon

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Deux jours ont passés, Benoît n'est sortie de sa cabine qu'une seule fois lorsque Marc a réuni tout l'équipage. Après être resté en retrait, il est retourné dans les entrailles du navire sans un mot. Kishan a été retrouvé au pied d'un cadavre, qui avait une longue épée plantée dans le coeur,en sanglot dans une des salles à canon. Il ne sortait que pour nettoyer le pont. Il ne supportait plus la vue d'une lame et refusait d'entrer dans la cuisine. Charles avait un comportement étrange depuis l'attaque, il fixait longuement son couteau et brusquement le lançait dans le mât principal. Cela avait surpris tout le monde au début mais maintenant Georges s'entraînait avec lui. Marc m'approchait encore quelques fois avec de mauvaises intentions mais il y avait toujours un homme pour l’interrompre. L'attaque surprise avait fait trop de dégâts humains et matériels et chacun essayait de réparer ce qu’il pouvait mais il manquait trop de bois et le second mât en large du bateau finirait par tomber à l'eau. Je cru comprendre qu'on allait faire escale sur la prochaine côte. Je dormais désormais seule dans la cabine de l'ancien médecin et soignait comme je pouvais les graves blessures. Marcus venait souvent prendre de mes nouvelles en prétextant des vertiges anormaux et des douleurs insoutenables. Je souriais intérieurement mais lui administrait des verres d'eau citronné en guise de soins. Le navire était en ébullition ; une véritable ruche. Tout le monde travaillait ou s'entraînaient en prévision d'une autre attaque. Jérémie ne s’occupait plus de nettoyer le magnifique navire mais de le débarrasser de ses déchets tels que les tonnes de bois arrachés et éparpillés au sol.
Je marchais tranquillement sur le pont, observant les pirates aller et venir. La journée commençait tout juste et la lune était encore visible. Le ciel bleu pâle annonçait une navigation paisible. Les vagues de l'océan s'écrasaient doucement sur le bateau, le vent soufflant dans la voile encore intacte du Sword. Je me dirigeai vers le capitaine qui était engagé dans une discussion avec le barreur. Alexendro me vit approcher et s'arrêta de parler. Marc se retourna pour voir ce qui les coupait dans leur débat et me vit. Un air étrange se figea sur son visage. Il semblait désagréablement surprit mais il prit sur lui pour m'expliquer de partir et de retourner dans ma cabine.

- Il faut faire un point, Marc. Cela fait trois semaines que nous sommes sur ton navire et d'après les rumeurs qui courent, nous n'avons pas approché les côtes africaines.

- Linn, retourne travailler. Ce n'est pas tes affaires. On t’appeleras quand on arriveras à destination.

Puis il se retourna et posa une main sur l'épaule d’Alexandro. Je ne saurais rien de plus de sa part. Pensive, je traversais le pont. Le soleil était caché derrière les nuages sombres. Mon corps frissonna. Une vague d'inquiétude me traversa alors que j’approchais de la rembarde. Était-ce une bonne idée de partir avec comme seuls indications un carnet de voyage et des souvenirs? Sûrement pas. Mais nous étions là maintenant et devions continuer. Ce séjour chez les pirates nous avait changé, éloigné et rapproché d'une certaine manière. Kishan avait montré une autre facette de sa personnalité que je n'appréciais pas. Derrière un mur d'inconscience, le jeune mousse était peureux et frêle. Je me demandai quelques fois quelle raison l'avait poussé à venir s'aventurer avec moi a l'autre bout du monde. Il se cachait derrière son balais à la moindre altercation et fuyait les dangers. Comment cet version de mon ami d'enfance pouvait cohabiter avec celle que j'avais toujours connu? Comment pouvait-il inventer maintes manières de sortir en douce de ma maison, m’entraîner dans des ruelles sombres de la ville de Cochin, connaître chaque individu de son quartier et se cacher lorsqu’on menaçait sa vie au lieu de la défendre, s'apitoyer sur son sort ou s'enfermer dans sa solitude?
Charles était devenu un homme différent au bon sens du terme. La fougue et le courage avaient surpassé sa constante passivité. Il me regardait avec un nouveau regard, celui du frère protecteur et plus celui de l'homme inquiet maladif. Il avait confiance en moi et me comprenait mieux dans ce désir de liberté. Même si nous n'avions pu parler depuis l'attaque, je savais qu'il allait mieux. Il s'entraînait dur avec Georges et s'était fait accepter par l'équipage. J'étais heureuse pour lui. Néanmoins, nos recherches tournaient en rond. Nous ne pouvions pas avancer perdu au milieu de l'océan. Les seuls à être au courant sont Clive et Benoît. Le premier est mort et le deuxième fait son deuil. Il faudrait pourtant en apprendre plus. Le livret de voyage de Pitāmahan n'est pas complet. On ne sait toujours pas de quoi est composé le trésor ou ce pour quoi nous nous sommes aventuré si loin de l’Inde. Nous ne savons pas si nous trouverons quelque chose sur cette île. Nous ne savons rien. Nous devons arriver le plus rapidement possible. L'horizon était le même depuis vingt-deux jours : le ciel se fondait avec l’océan, seuls les nuages nous permettaient de ne pas se perdre dans cette immensité bleue. Il fallait avancer mais le navire ralentissait. Il fallait se donner de vrais objectifs au lieu de s'éparpiller. Je me demandais après avoir évoqué cela si je parlais du navire ou de notre propre situation. Peut être les deux. Car ils étaient irrémédiablement liés.

                              ***

Je dévalais les quelque marches qui menaient à la cave à vins. Il fallait prévenir Kishan qui restait dans l'ombre du navire. Après deux jours à observer l'horizon et à écouter les discutions, j'avais appris qu'on devait s'arrêter à Bombay. C'était une grande ville que je n'avais vu que sur les traits droits d'une carte. Cette capitale lointaine, dont mon grand-père m'avait raconté les rues et les habitants. Poussant la porte, je vis mon ami déplacer une botte de foin. Les bouteilles de vin étaient rangés sur tout un pan de mur. A l'aide de morceau de bois récupéré et quelques clou, il avait créé des étagères et des morceaux de paille tenaient les bouteilles en place. L'espace paraissait vide maintenant que tout avait été déplacé. Deux lits ,délimités à l'aide de planche et de paille, étaient posé dans la largeur et une bougie dans une bouteille vide diffusait un lumière blafarde. Kishan s’assis au centre de la pièce et observa une large carte. Je n'osais pas le déranger. Presque immobile, du bout des doigts, il effleurait les villes et les océans. Sur un morceau de papier trempé, il écrivait. Un morceau de cire noire écrasait sur la page des lettres maladroites. Il leva la tête et sursauta en me voyant.

- Que…

- On débarque, Kishan, on arrive à Bombay.

Il acquiesça silencieusement. Cette bataille l'avait rendu presque muet. Il ne disait que le strict minimum, plongeant profondément dans ses pensées. Kishan posa lentement sa craie au sol, éloignant la carte de l'autre main.

- Linn…

Il se redressa doucement et péniblement.

- Il nous faut passer par la terre et traverser l’Oman, l’Irak et l’Égypte à pied puis acheter les services de nobles voyageurs jusqu'à l'île.

Il chercha une réaction sur mon visage mais je restais immobile attendant la suite. Il passa une main dans ses cheveux gras, mal à l'aise.

- Lisotte, ce voyage à bord de ce navire était une mauvaise idée. On ne peut savoir si l'un de nous survivra à la prochaine attaque qui sont fréquentes, on ne peut risquer nos vies aussi futilement. Fuyons à Bombay et proposons à d'autres marins de nous y emmener!

Je ne disais rien. Que dire! L'observant, je remarquais que ses mains tremblaient, son regard était insistant. Il avait peur. Peur de cette aventure, peur du navire, peur de ces occupants, et sûrement de moi.

- On ne peut pas partir, pas maintenant. Il faut qu'on traverse l'océan Indien. On doit arriver de l'autre côté de cette immensité bleue.

- Lisotte… je ne te suis plus… Je ne comprends plus… Pourquoi risquer nos vies pour rien?

Il m'étonnait. Dans mon esprit, Kishan était un homme fidèle et fort. Plus aujourd'hui. Que c'était-il passé?

- Kishan, je ne t'oblige en rien à nous suivre. Si à Bombay, tu souhaites rentrer et retrouver le confort de Cochin et de ton travail soit! En rentrant, préviens mon père que je vais bien.

Sans attendre une réponse, je me retourne pour sortir de la cabine.

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Petit chapitre court, un peu lent également mais la suite sera plus mouvementé !

Bonnes lectures

Ea'

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 18, 2018 ⏰

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