Le vélo

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Je suis une fille pleine de vie. Ça sert à rien de le nier. Je suis... Je suis aussi sportive. Casse-cou, tête brûlée, ou d'autres trucs du genre. Mes défauts... Je manque de confiance en moi. J'ai tendance à suivre les autres. J'aurai dû y faire attention, vous savez. Donc... Je suis sportive, mais je vous l'ai déjà dit. Je vais au lycée en vélo. Jamais à pied, parce que c'est un peu loin, jamais en bus, parce que c'est pas drôle. Parfois, je croise même d'autres vélos. C'est plutôt rare car, là où j'habite, la voiture est souvent privilégiée. Moi j'ai le mal des transports alors la voiture... Non merci. Mais je m'égare... Ce soir là, je finissait tard. En plus de ça, j'avais passé une bonne demi heure à discuter avec mes amis. J'étais fatiguée, il faisait nuit, mais les lampadaires étaient allumés. Alors, après avoir quitté mes amis, je monte sur mon vélo, la tête froide et les cheveux à l'air. J'ai toujours aimé cette sensation, qui me donnait l'impression d'être libre. Sans limite. Alors j'accélère. Je bifurque à la première à droite, sur la piste cyclable. Les lumières de la ville éclairent ma route. Un autre vélo est devant moi. Je le suis, puisqu'il n'y a qu'un chemin. J'accélère encore, puis je le double. D'une main, j'essuie une larme que le vent fait couler. J'aperçois le feu qui passe au rouge et violemment, j'appuie sur la pédale du frein arrière, et m'arrête à temps. Je regarde autour de moi en attendant. À ma gauche, je perçois le sourire goguenard du cycliste qui, grillant le feu rouge, me double. Ah c'est comme ça !? Il faut que je prenne ma revanche... Alors je regarde à droite et à gauche... Et, sans attendre que le feu soit vert, je démarre. Je le rattrape facilement. Narquoise, je m'autorise même un signe de la main quand j'arrive à sa hauteur. J'ai pris ma revanche, mais je ne le laisserai pas me doubler encore. Je tourne les poignets sur mon guidon pour passer en vitesse maximale ( pour les connaisseurs : 7 ème vitesse, 3 ème palier ) et prend soigneusement de la distance. D'une main, je remet mes cheveux en place et... Mon casque. J'ai oublié de mettre mon casque. Il se balance encore à mon guidon. Ouf, je ne l'ai pas perdu je ne sais où. Rassurée, je regarde droit devant moi, tandis que derrière, un bruit de sonnette se rapproche. Il me rattrape !? Déjà ! Je me colle contre mon guidon et, en danseuse, je pédale aussi vite que mon vélo me le permet. Je ne fais plus gaffe au feu rouge flamboyant. Je suis tellement concentrée sur ma course que je ne sens pas le choc qui me soulève. Je le vois. Je vois tout. Je vois mon vélo se faire réduire en miette. Je sens mon lourd cartable accélérer la chute. Je sens mon dos se broyer contre tous ces cahiers empilés. Je sens ma tête heurte le sol tellement violemment que ma nuque n'a pas d'autre choix que de se briser. Je sens le goût métallique du sang dans ma bouche. Je vois aussi les regards des témoins impuissants, certains sont tristes, d'autres sont horrifiés. Notamment celui du cycliste. Je crois... Je crois...que je le connaissait. Je ne me souviens plus. Le chauffard qui m'a heurtée s'est pris un poteau dans la carosserie. Lui n'a rien. Je ferme les yeux. La dernière chose que je sens, c'est une main serrer la mienne. Cette main est chaude, agréable, douce. Cette main, jamais je ne la remercierai assez. Car elle m'a permise de reposer en paix.

Lullaby - Recueil de nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant