Métamorphose

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J'aime les fleurs.

Très souvent, lorsque je déclamais mon amour pour le monde naturel, on me dévisageait. Des yeux roulaient sur moi, leurs regards accusateurs m'assassinaient. Je comprenais alors que Dieu seul sait pourquoi, je faisais fausse route. Et pourtant c'est bien ce que je suis : une personne qui accueille à bras ouverts nos amis les végétaux.

Cette fascination pour la flore, je la transporte avec moi depuis que je suis venu au monde, ou presque.

Quand j'entrouvris les yeux pour la toute première fois de mon existence, je fus confronté au visage d'une énorme peluche en forme de poireau, cadeau de naissance de mes parents, qui ont, par conséquent, grandement participé à l'éclosion de ma passion. Un bulbe blanc lumineux surplombé par de longues tiges et formant un bouquet pétillant, ce poireau affichait un sourire particulièrement mignon, quoique... quelque peu surfait. Ses yeux globuleux ne demandaient qu'à être aimés.
Je l'avais baptisé « Ga », parce qu'à l'époque, c'était la seule syllabe que je pouvais prononcer. Ga, mon très cher compagnon de voyage, me suivait partout, pour la simple et bonne raison que je ne le lâchais jamais. Il s'improvisait papa, il jouait le rôle de maman et remplaçait à merveille Bidule, notre chat, lorsque celui-ci se prélassait sur le divan en me dénigrant de son regard hautain et suffisant.
Ga ne m'a jamais quitté. Son antre se trouve dans un petit recoin de mon armoire en bois vermoulu, étroit mais douillet, dans laquelle il coule des jours digne d'une peluche s'apparentant à un légume.

C'est drôle quand on y pense.

Quelques années s'étaient écoulées. Mon appartement regorgeait d'espèces et de variétés de plantes et de fleurs en tous genres : de la Tulipe à l'Hortensia, en passant par la Fougère et le Bambou, ma collection n'avait de limite, si ce n'est les murs qui déterminaient mon espace vital. J'étais entouré de créateurs d'oxygène. Je fuyais l'ère robotique, la mécanisation et le progrès. J'étais en phase avec la vie, telle était ma morale.
Quand je regardais autour de moi, je ne discernais que des couleurs grisâtres et monotones, des formes métalliques, des nuages toxiques, j'étouffais au sein de cette atmosphère artificielle.

Sur un pétale de Bégonia perlait une goutte d'eau, je la récupérai au creux de mes mains et la respirai profondément. Une inspiration suffisait à combler le vide installé au fond de mon cœur. Vitalité, Vertu, Virtuosité sont les trois mots d'ordre du règne végétal qui n'avait plus aucun secret pour moi.

Une porte avait été ouverte il y a longtemps. Elle renfermait une aura terriblement puissante.
La porte grince et dévoile une pièce plongée dans l'obscurité. Seule une lueur se détache de la masse sombre. Mes petits pieds progressent prudemment sur le carrelage glacé du refuge, et mes doigts se baladent sur la paroi que je longe à présent, en quêté d'un hypothétique interrupteur.
Je ne peux quitter des yeux les étoiles qui brillent au centre même du halo de lumière. De magnifiques fractales parsèment la structure de la flamme. Une douce chaleur embrase mes sens et, plus j'observe l'astre, plus mon esprit brûle d'exhalation.
Mon enveloppe corporelle est sous pression, mes pensées fusent, le court-circuit n'est pas loin. Frémissant, je ne peux plus faire machine arrière, mes doigts traversent déjà le champ de force entourant d'une fine pellicule de paillettes, la sphère d'énergie.
Soudain, je suis propulsé au sein d'une nouvelle dimension inconnue, j'entre en contact avec le cosmos.

Ce jour-là, j'avais découvert l'étendu des possibilités du cerveau humain. J'ai pu me défaire d'un poids qui m'encombrait depuis un bon nombre d'années... Les sensations sont versatiles, vivaces, intrépides, indépendantes, et surtout indéfectibles.
Ce jour-là, j'avais ressenti résonner dans le duo corps et esprit qui fondait mon identité, une explosion de saveurs, les unes fruitées, les autres acidulées. Une révolution était en train de se mettre en place.
Ma raison de vivre était née, je pris conscience que le monde ne me considérait pas et que je devais m'y adapter, seul et sans l'aide de personne.
Ce jour-là, j'ai enfin pu accepter mon existence.

MétamorphoseWhere stories live. Discover now