Chapitre 1

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Rouge.

L'incandescence de sa robe virevoltait dans la brise matinale. Son visage était jeune, agité par les tremblements de l'adolescence qu'elle tentait de cacher derrière un rouge à lèvres trop sombre.

Bleu.

Sur ses doigts, des tâches d'encre traçaient de drôles d'arabesques. Son regard était serein et sa démarche posée, comme celle des conférenciers qui s'apprêtaient à conter l'histoire de leurs œuvres.

Vert.

L'analyse de ceux-là m'avait toujours causé des soucis. Au premier coup d'œil, ils étaient tout à fait classiques ; une cordialité, une gentillesse, une banalité qui se perdait au beau milieu de la foule. Mais il suffisait de les observer un peu plus pour déceler la sérénité qui gravitait autour d'eux. J'avais tendance à les suivre au fil des rues. Ils m'apaisaient.

Le wagon tressauta et les passagers se cramponnèrent aux barres métalliques.

« Prochaine station : Waterloo. »

Comme chaque jour, la voix artificielle avala la dernière syllabe, et moi, je n'entendai que water. Je me plaisais à imaginer qu'en émergeant des sous-sols du métro, je me trouverais nez-à-nez avec un fleuve gigantesque, creusé dans le béton de la ville et dont les berges fusionneraient avec le gris de l'asphalte.

« Attention à l'ouverture des portes. »

Le chuintement des gonds mal graissés me ramena à la réalité. Les passagers s'engouffrèrent vers la sortie, soufflant et se poussant afin d'arriver le premier. J'attendis quelques secondes avant de me faufiler entre la queue de ceux qui sortaient et de ceux qui rentraient.

Le quai était bondé. Rien d'étonnant pour un lundi soir. Il y avait les employés de grosses boîtes, engoncés dans leurs costard-cravates, aux chaussures cirés et aux jupes moulées, à la mine défaite par une journée de labeur. Et il y avait les plus petits, les anonymes, au regard distrait et las, qui tentaient de faire bonne figure avec leur chemise sagement rentrée dans leur pantalon et leurs talons aiguilles vertigineux.

Je ne faisais pas partie de leur monde.

Eux contribuaient à la société. Je ne faisais que m'y débattre sans y trouver ma place.

La rame de métro repartit en crachotant. Je remontai les escalators deux par deux et doublai un camaïeu de couleurs infini. Bientôt, je gravis les dernières marches et débouchai enfin à l'extérieur.

Il n'y avait ni fleuve, ni berges. Au-dessus de moi, le bleu du ciel s'étirait, troublé de quelques nuages translucides. Les citadins se pressaient en direction du centre. Ambre. Pourpre. Indigo. Ils possédaient tous leur propre teinte. La nuance était parfois subtile mais je n'avais jamais vu deux fois la même couleur. Et, surtout, personne ne remarquait le halo qui se mouvait autour eux.

Cela faisait près de deux ans que j'étais capable de voir les auras. Deux ans, aussi, que j'étais sans travail. Je m'étais réveillée un matin et j'avais découvert ma mère, lovée dans un cocon indigo qui n'avait rien à faire là. On aurait dit un gros trait de feutre trop vif extrait d'un dessin d'enfant. Plus tard, c'était la couleur de mon père que j'avais découvert (un jaune éclatant) puis celle de mon frère (un bleu froid et très pâle). La mienne ? Je n'en avais aucune idée. Je m'étais inspectée dans tous les miroirs que j'avais trouvé et j'avais dû me rendre à l'évidence : j'étais incapable de voir me propre aura. Un peu comme dans ces films de science-fiction où le protagoniste connaissait la date de la mort de tout le monde, sauf lui. C'était frustrant. Rageant, même. Mais bon, j'échappai au moins à la déception d'un vert de vase.

AuraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant