Le petit joueur de djembé

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Cette histoire se passe au Togo.
Les blancs sont appelés yovos en langue ewée.

Le petit joueur de djembé

Quatre ans. Sous l'arbre aux palabres il est assis. Ayao, le petit enfant de Kouma Konda, qui est né un jeudi. Il joue du djembé. Du matin jusqu'au soir, il joue. Il joue pour le soleil qui se lève. Il joue pour le grand père Edem sur sa paillasse et pour mémé Kekeli, l'aveugle assise sur le banc près de l'entrée de sa case. Il joue pour le manguier qui donne des fruits et pour le petit de Mablé, la cadette, qui va naître. Il joue pour maman chérie qui attend des nouvelles de son fils parti pour la France pour vivre la grande vie. Il joue pour le Seigneur et pour la pluie qui ne vient pas. Mais il joue surtout pour son papa, le guerrier du village. Grand, fort, autoritaire, mais avec un sourire bienveillant et des yeux rieurs qui démentent le doigt dressé et le ton sévère. Ayao, disait-il, tu sais que tu n'as pas le droit de dépasser la grande barrière!! Et tu l'as fait. Tu as mis mon ami Jacques très en colère et tu as effrayé ses poules. Elles ne veulent plus pondre maintenant. Et je vais devoir lui donner des œufs pour réparer ta bêtise!! Ayao savait que son père exagérait exprès. Mais il entrait dans son jeu et promettait que jamais plus jamais il ne franchirait la barrière du yovo.

Papa était malade, très malade. Ses crises de paludisme étaient devenues plus fortes que lui, et le docteur était venu de Kpalimé pour apporter une médecine blanche. Mais quand il était sorti de la maison, Ayao avait vu la mort dans son regard.

Alors Ayao jouait pour son papa. Pas pour qu'il guérisse. La musique n'avait pas ce pouvoir. Mais pour qu'il parte en paix. A quatre ans, Ayao savait l'importance de partir en paix.

A Kouma Konda tout le monde fait de la musique, joue, chante et danse. Il suffit que quelqu'un commence à jouer ou taper un petit rythme sur un djembé ou avec deux cuillères, et déjà un autre le rejoint avec un autre instrument, et bientôt huit hommes jouent et chantent et dansent. Ils racontent les histoires des villages, des guerres et des mariages, des méchants patrons et des pauvres exploités, du dur labeur des champs et des maris infidèles. Si les rythmes sont joyeux et enlevés, les paroles sont tantôt tristes, tantôt révoltées.

Ce que joue Ayao est différent, toutefois. Car Ayao a un talent exceptionnel. Son djembé est son premier moyen de communication. Plus que la parole. Quand il est triste ou malheureux, le rythme du djembé vous déchire l'âme. Quand il est serein, vous avez l'impression qu'il déroule à vos pieds un chemin ombragé et doux, tapissé de fleurs délicates. Quand il est joyeux, tout le village pétille d'allégresse. Et chacun de se dire : « Ce talent n'est pas là par hasard! Ayao a un destin! »

Ayao pleure son papa. Le grand guerrier est mort. Ses funérailles ont duré trois jours. Ayao n'a pas quitté son djembé de tout ce temps pour accompagner son père. A présent, il lui faut aider sa mère Afoka qui a besoin de courage. Pour elle il joue la peine le premier jour, la tendresse infinie le deuxième, et la force le troisième et tous les jours suivants.

Afoka regarde ce tout petit bout d'homme aux yeux de sage. Elle se souvient de sa naissance. Elle souffrait depuis des heures, le petit n'arrivait pas à montrer sa tête. Elle était épuisée. Quand enfin il était apparu, il n'avait pas crié et elle aurait juré qu'il l'avait regardée droit dans les yeux et lui avait souri. Dans ses yeux, elle avait vu l'insondable éternité du recommencement.

Ce soir, Afoka couche son petit, elle l'embrasse sur le front et le câline, mais elle sait qu'au fond c'est lui qui la console et la soutient.

Le petit joueur de djembéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant