Ayao a huit ans. Il est le petit prodige de Kouma Konda. Les anciens disent qu'il est un sorcier qui ne connaît pas les plantes. Dans les villages alentour, on connaît Ayao et son djembé. Même les touristes, parfois, demandent à l'entendre. Alors, petit à petit, insidieusement, il est devenu une sorte d'attraction. Au début, c'était gentil. On demandait au petit musicien de jouer devant l'école pour une fête, puis devant une famille ou le village. Ayao avait bon coeur, il jouait pour tous ceux qui aimaient sa musique. Mais lorsqu'un yovo voulut offrir un contrat pour emmener Ayao faire une carrière à l'étranger, Afoka prit grand peur et sollicita le conseil des sages.
Sous l'arbre aux palabres, les vieux se réunirent et discutèrent pendant des heures, tard dans la nuit. Ils décrétèrent que le petit garçon devait être protegé jusqu'à ce qu'il soit en âge de décider pour lui-même. C'était une décision fort sage, en effet. Prenant conscience qu'ils avaient tous participé à cette notoriété débordante, ils voulurent aller plus loin. Ils dirent : « Ayao ne doit plus jouer en public! »
Ce fut un coup dur pour le village! Ayao était devenu leur mascotte, en quelque sorte. Surtout, il avait un don merveilleux pour consoler, donner de la vigueur, apaiser les esprits torturés, redonner de la joie aux cœurs en peine. On l'appelait au chevet des malades, il chassait les cauchemars des tout petits et laissait de la sérénité derrière lui. Tel est le pouvoir de la musique, tel était le pouvoir du djembé d'Ayao.
Désormais, Ayao alla enchanter la forêt, les arbres et les plantes, les fourmis et les termites, les chutes d'eau, les animaux. Au fil des mois et des années, les étrangers l'oublièrent, les villages alentour l'oublièrent, et même son propre village, ne l'entendant plus jamais, commençait à se demander si ce n'était pas une sorte de légende, et si ce petit garçon jouait si bien que ça!
Afoka était à la fois soulagée que les menaces autour de son petit garçon se soient éloignées, et terriblement triste pour lui. Elle savait ce que représentait la musique pour son fils. Par les rythmes qu'il impulsait, par la force et la rapidité des touchers et des frappes, il parlait, il ouvrait son coeur et donnait de l'amour aux hommes. Nul doute que la nature aux alentours profitait de ces bienfaits. Mais les hommes avaient tant besoin d'amour en ces temps difficiles. Et ce petit bout d'homme en avait tant à donner.
Parfois elle se glissait derrière lui quand il s'enfonçait dans la forêt profonde. Quand il s'arrêtait, elle se cachait à quelque distance de lui pour l'écouter jouer. Elle ne dévoila jamais sa présence, car elle ne voulait pas fâcher les esprits. Les décisions des sages ne devaient pas être remises en question ni détournées. Elle aurait mis son fils en danger. Mais devoir se passer de sa musique était au-dessus de ses forces. Elle en avait un besoin vital.
Elle ignorait qu'il savait sa présence. Il la sentait, et de tout son petit coeur il jouait pour elle, comme autrefois quand il avait quatre ans. Il lui insufflait courage et force pour continuer à se battre tous les jours pour survivre. Il lui donnait tout son amour.
En apparence, Ayao était devenu un petit garçon comme les autres. Il jouait et apprenait et dansait avec les autres, il accomplissait les petites tâches qui lui revenaient. S'il n'avait pas disparu plusieurs heures par jour, on aurait pu croire qu'il était n'importe quel petit garçon.
Les sages, Afoka et lui-même à l'intérieur de son petit coeur, savaient qu'il n'en était rien.
Un jour, son destin le rattraperait.
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Le petit joueur de djembé
Short StoryAyao, un petit garçon togolais, a un talent exceptionnel.