Recueil

Le Corbeau

     Il neigeait. Cela faisait plusieurs années que le sud avait été épargné par la neige mais pas aujourd'hui. La couverture blanche recouvrait au moins d'un mètre le jardin tout entier. Les arbres étaient gelés et rien ne venait déranger son observation. Elle s'était positionnée à sa baie vitrée, assise par terre, profitant de la chaleur de sa cheminée et humant l'odeur du bois qui brûle. Elle regardait comme une enfant tous ces flocons qui venaient s'échouer sur le sol.

     Elle se leva soudainement, alla récupérer son gros manteau, une écharpe, un bonnet et des bottes et sortit affronter le froid hivernal. Le vent lui donna instantanément des couleurs aux joues et faisait jouer ses cheveux qui n'étaient pas emprisonnés sous la laine. Elle se laissa tomber dans la neige et se retrouva vite trempée. Mais elle riait. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas ri de bon coeur. Ces derniers jours elle s'était refermée dans une bulle de désespoir qui avait soudain éclaté. Elle prit de la neige dans ses mains nues et la lança en l'air, parsemant son visage d'une fine poudre blanche. Ce contact glacé sur sa peau lui donna l'étrange sensation de renaître.

     Elle s'assit en tailleur, sa tête dépassant à peine du manteau de neige et regarda le ciel. Elle n'avait jamais remarqué à quel point il était beau. Même ce corbeau qui le traversait lui semblait magnifique. L'oiseau de mauvaise augure se posa sur le muret et elle ne put qu'admirer le contraste qu'offrait son plumage avec l'environnement blanc. Il lui semblait qu'il la regardait, la tête penchée sur le côté, comme s'il se demandait pourquoi elle semblait si joyeuse alors qu'elle était transie de froid. Alors elle le lui dit. Elle lui dit que toute cette neige lui rappelait son enfance, quand elle était encore épargnée par la vie et insouciante. Et le corbeau l'écoutait. A la fin il croassa avec l'impression de l'interroger sur ce que la vie lui avait bien réservée. Alors elle lui expliqua. Elle se livrait à cet oiseau attentif, qui réagissait à chaque fin de ses phrases et qui restait là sur ce muret. Jamais elle n'avait autant parlé d'elle et encore moins de ses problèmes ou de ses angoisses. Des larmes coulaient sur ses joues mais elle ne se sentait pas triste. Elle était soulagée que quelqu'un l'écoute, ne fusse qu'un oiseau de passage. Son regard était intelligent et il semblait vraiment comprendre ce qu'elle lui racontait.

     Quand elle eut fini de dire tout ce qu'elle avait sur le coeur, elle le regarda droit dans les yeux et le remercia. Alors il prit son envol, dans un ultime croassement, et fendit les airs. Elle ne le revit plus, le corbeau avait disparu, emportant avec lui son désespoir.