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Le cimetière de la ville de Forest Hills est ce que l'on peut appeler paisible. Il est situé un peu en dehors de la bourgade, à l'ombre du clocher de la petite église qui permet à la population de quatre mille huit cent soixante-treize habitants de ressentir et chercher la présence de Dieu dans leur existence. Le cimetière en lui-même n'est pas très étendu, mais est probablement l'un des plus anciens du comté. Les tombes les plus vieilles sont éparpillées sur la colline qui surplombe le reste de la nécropole. Un groupe de grands chênes projettent leurs ombres majestueuses sur les pierres en granit. Les tombes les plus récentes sont un peu plus loin, proches de l'enceinte.
Ce jour-là, une petite brise glisse lentement entre les feuilles des arbres environnants et les oiseaux piaillent presque paresseusement. C'est une belle journée, pas trop chaude, même en étant en plein soleil, et la brise n'est pas trop froide, ce qui fait que l'on n'a pas besoin de porter de veste. Pourtant, la silhouette agenouillée devant l'une des plus récentes tombes frissonne.
Sean Matthews est un jeune homme de dix-huit ans qui n'est pas du genre à facilement avoir froid. Bien qu'ayant grandi toute sa vie à Forest Hills où règne un climat tempéré, les gens autour de lui disent qu'il pourrait vivre en Antarctique et encore avoir chaud. Et pourtant, depuis quelque temps, il n'arrive plus à retrouver cette sensation. C'est psychologique, il le sait, mais rien ne peut changer ce fait. Il a froid en permanence.
Le jeune homme a les épaules larges, mais on voit qu'il n'a pas fini sa croissance, il conserve un air un peu infantile, même si des rides plissent déjà le coin de ses yeux. La faute à sa tendance à rire de tout. Plus depuis quelques mois néanmoins. Aujourd'hui, des plis amers marquent les coins de sa bouche, durcissant son visage où ses grands yeux ambrés semblent prendre toute la place.
Il est loin le temps où il souriait tout le temps. Ses amis et sa famille pourraient probablement vous dire avec exactitude à quel moment il a cessé de rire. Même si personne n'a compris tout de suite ce qui se passait. Mais il ne veut pas penser à ça, pas maintenant, pas alors qu'il est là, devant cette tombe. Cette tombe qui n'existe que par sa faute.
C'est d'un doigt tremblant qu'il trace la gravure sur le marbre de la pierre.
Katherine Hamilton
1996-2014
L'inscription est simple et, en même temps, élégante. Elle reflète parfaitement la personne qui est étendue là, sous cette couche de terre. Sean a l'impression que c'est lui qui est allongé là-dessous, et il doit lutter pour que sa respiration reste la même, pour ne pas hyperventiler et peut-être même s'évanouir par manque d'oxygène. C'est déjà arrivé et il n'a pas besoin que quelqu'un appelle une ambulance qui l'emmènera à l'hôpital où son père est le médecin-chef des urgences. John Matthews s'inquiète déjà suffisamment pour son fils unique, le seul membre restant de la petite famille qu'ils formaient. Ils ne sont plus que tous les deux parce que Sandra Matthews est elle aussi étendue dans ce cimetière. Mais Sean ne veut pas non plus penser à elle maintenant.
Ce n'est pas que c'est douloureux, bien que, soyons honnêtes, même après dix ans, ça le soit encore, mais Sean souhaite se concentrer sur la jeune fille qu'il est venu voir aujourd'hui.
Katherine était une force de la nature, toujours souriante, prête à faire les quatre cents coups avec lui, mais également mortellement terrifiante. Après tout, elle dirigeait déjà son propre coven à dix-huit ans. Ce qui expliquait pourquoi elle pouvait faire des blagues de potaches dont un gamin de dix ans aurait eu honte tout en menant et canalisant une vingtaine de sorcières regroupées en une congrégation qu'elles avaient appelée « Les Tigresses ». Sean trouvait ça hilarant que la grande prêtresse du coven des Tigresses soit en couple avec l'alpha de la meute locale de loups-garous. Les deux jeunes gens se moquaient des conventions et du qu'en-dira-t-on. Entre Katherine Hamilton et Zach Miller, le jeune alpha de la meute Miller, ça avait été le coup de foudre au premier regard. Coup de foudre qui était rapidement devenu une romance à la Disney, propre à filer des caries à toute personne les regardant trop longtemps. Ils étaient l'un de ces couples qu'on envie et qu'on jalouse, tour à tour ou en même temps. Jusqu'à la mort de la jeune sorcière en tout cas.
Déglutissant péniblement, Sean prend une profonde inspiration et se décide à faire ce pour quoi il est venu. Il se rend sur cette tombe une fois par semaine environ et parle. Il parle de tout et de rien. De la vie de tous les jours, des petits et grands événements que la jeune fille ne peut plus vivre. C'est difficile pour lui, parce qu'avant il était du genre à babiller pour ne rien dire, mais depuis la mort de Kat, il n'ouvre quasiment plus la bouche. Si ses amis arrivent à lui tirer trois mots dans une journée, ils en sont heureux.
Ils en sont heureux, parce qu'ils savent. Tous savent à quel point Sean et Kat étaient proches. Oui Katherine était la petite amie de Zach, presque sa compagne, mais Sean est pratiquement le frère de l'alpha. Ce qui faisait des deux jeunes quasiment des frères et sœurs. Au plus grand désarroi de tous, ils s'étaient immédiatement connectés. Comme si la sorcière et l'humain s'étaient reconnus à un niveau quasi moléculaire. Et ils avaient rendu la vie des membres de la meute presque infernale. Ça les faisait rire.
Mais Sean ne rit plus désormais.
— Hey frangine, dit-il, la gorge nouée par l'émotion et la culpabilité. Je te demanderais bien comment tu vas depuis la dernière fois, mais... Enfin, tu vois ce que je veux dire, pas vrai ? Tu as toujours su ce que j'avais en tête. Bien mieux que Zach, et lui me connaît depuis que j'ai quatre ans.
Il soupire. Il n'est pas venu pour parler de Zach, mais c'est souvent comme ça. Il a préparé tout un speech et ne s'en sert jamais. Aujourd'hui, il pensait qu'il pourrait vraiment s'excuser. Visiblement, ce n'est pas encore pour cette fois.
— Tu sais, murmure-t-il, toute la bande me prépare un anniversaire-surprise pour mes dix-huit ans. Mais tu connais Zach, incapable de garder un truc pour lui, même si sa vie en dépendait. Je ne sais pas ce que je vais faire. Pour mes dix-sept ans, tu étais là et je ne crois pas pouvoir le fêter sans toi. Sans penser à toi. Et tu sais ce que ça donne quand je pense à toi.
Il se tait un instant, avant de murmurer :
— Tu me manques, bordel ! Je veux que tu sois là. Ça sert à quoi que la magie existe si on ne peut pas garder les gens qu'on aime avec soi plus longtemps ?
Tout à coup, il est en colère. En colère parce que Katherine est morte. En colère que ce soit sa faute. En colère qu'elle n'ait rien fait pour empêcher ça. À quoi bon être la grande prêtresse de l'un des coven les plus puissants des États-Unis si on meurt d'un simple coup de couteau ?
C'est presque rageusement qu'il se lève et époussette les brins d'herbe accrochés à son jean. Il voudrait pouvoir partir comme ça, à grandes enjambées rageuses et sans se retourner. Mais c'est Katherine. Il ne peut pas lui faire ça...
— Au revoir, Frangine. Ne rends pas les anges fous.
Il ne se rend pas compte qu'il pleure. Pas plus qu'il ne voit l'homme qui l'observe d'un peu plus loin avec les yeux les plus tristes du monde.
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Club Fantasy
RomanceDis-moi, Bambi, qu'est-ce qui accélère ta respiration comme ça ? Bambi tremble d'anticipation et cherche son souffle. Les griffes du loup effleurent la chair tendre de son dos. Demain, il aura des marques. Tant mieux. Bambi aime savoir à qui il ap...