ineffable.

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The Neighbourhood – R.I.P. 2 my youth

T'es pas venu en cours aujourd'hui. 

Hier non plus.  

En fait, depuis le début de la semaine t'es absent.

Et on est vendredi à présent.

Ca m'a ennuyé, de pas savoir pourquoi. 

En plus, j'crois que te voir, ça m'aurait rassuré.

Parce qu'aujourd'hui, mes parents ont décidé de m'envoyer voir un psy.

Ils disent qu'ils s'inquiètent pour moi, que depuis quelques temps, ils songent à me refaire prendre mon traitement.

J'sais même pas pourquoi, c'est pas comme si j'étais agité, ces derniers temps.

'Fin, ils disent que je n'm'en rends même pas compte ; que jpasse mon temps à bouger nerveusement dans tous les sens, que j'me balance de nouveau sur ma chaise, qu'y a ma jambe qui tressaute en permanence, et puis, ils m'entendent, le soir, faire les cents pas dans ma chambre sans trouver le sommeil.

Ils disent que même si je ne parle plus, même si je ne cours plus partout, je recommence à me montrer trop actif.

Que je ne suis plus aussi calme qu'avant.

Faut dire que depuis que j'prends plus leur connerie d'médicaments, j'ressemble moins à un légume.

C'est c'que j'étais avant.

Un gars tellement shooté que j'me rendais même plus compte de la réalité.

Paraît que j'suis hyperactif, t'sais.

Ils ont arrêté le traitement quand j'avais quatorze ans, et depuis, j'me suis jamais senti aussi vivant.

Trop vivant.

Ca m'fait presque mal, mais j'aime ça.

Être en vie.

J'étais mort pendant trop longtemps, j'ai besoin d'vivre maintenant.

Mais y a cette menace qui plane au dessus d'ma tête, cette crainte de retomber, d'être contraint de reprendre leurs substances abrutissantes ; j'ai tellement peur que j'me tiens tranquille, et, au final, j'vis pas vraiment.

J'pense que t'en sais rien, mais t'es l'une des rares choses qui m'a permis de pas retomber. 

De m'tenir tranquille.

J'te trouvais apaisant.

Mais tu m'préoccupes en c'moment, et j'pense que ça m'rend un peu plus actif que d'ordinaire.

Mais le psy a été gentil et compréhensif – puis, il m'a dit qu'il m'redonnerait pas de médicaments, alors, j'me sens un peu mieux maintenant.

Par contre, il m'a posé des questions sur ma dépression – c'est l'premier à avoir utilisé ce mot pour parler d'moi, ça m'a encore plus foutu la trouille que l'reste.

Une séance, c'est trop tôt pour émettre un jugement, qu'il a dit. 

Mais j'l'ai entendu parler avec mes parents ; il parlait d'anxiété sociale, de phobie scolaire, et de boulimie.

J'sais que j'mange pas très sainement, plus par envie que par besoin, pour combler le vide émotionnel, que parfois, j'me contrôle pas et j'bouffe tout ce qui arrive entre mes mains, j'sais très bien que c'est pas normal et que c'est mal.

Même que des fois, j'vomis tellement j'ai honte, j'ai même pas à me forcer, ça vient tout seul tant j'me dégoute.

Ca non plus, j'pense pas qu'ça soit normal.

Mais j'ai toujours refusé d'croire qu'c'était d'la boulimie.

Et toi, t'en pense quoi ?

Tu penses que j'suis malade, toi aussi ?

J'espère que non.

La nuit est claire aujourd'hui ; la pleine Lune éclaire la rue avec presque autant d'intensité que les lampadaires. 

J't'attends, j'espère que tu passeras ce soir.

Ca fait une semaine que j'te guette.

C'est pas très sain c'que j'fais, mais j'ai vraiment besoin d'te voir.

Deux heures approche, et y a toujours pas un bruit dans la rue.

J'ai même ouvert ma fenêtre pour être sûr de pas t'manquer.

Sauf que t'es toujours pas là.

Ca m'inquiète.

Du moins, ça m'inquiétait, jusqu'à c'que tu débarques, essoufflé, et qu'tu t'arrêtes en bas d'chez moi.

T'avais l'air épuisé, vraiment, j'avais peur qu'tu t'écroules sous mes yeux, comme ça, d'un seul coup.

Mais tu souriais.

C'était beau.

Ca m'a fait sourire aussi.

J'ai pas d'mots pour décrire tout c'que j'pense de toi.

Ou même tout c'que j'ressens à ton égard.

J'pense pas qu'ces mots là existent.

Si c'est l'cas, faudrait les inventer.

J'pensais que t'allais repartir te promener, comme d'habitude.

Mais ce soir, t'as fait un truc totalement inattendu.

Et, pourtant, j'n'avais de cesse d'espérer qu'ça arrive un jour.

Tu m'as demandé si j'voulais venir.

Forcément, j'ai répondu oui.

Ineffable (adj) : too great to be expressed in words.

nuit de porcelaine (sous la fenêtre) [yoonkook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant