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Main portée en visière sur les sourcils, moue boudeuse marquée sur le visage, j'esquisse une grimace en contemplant l'immeuble devant moi.

Briques salies par le temps et la pollution, fenêtres chargées de poussières et rideaux jaunis de nicotine, porte de bois, griffée, usée.
Mon dieu... Je ne m'attendais pas à un palace, loin de là, mais quand-même pas à un tel taudis... Et dire qu'il y a déjà une horde d'étudiantes qui vit là-dedans...

— Tu as tout ce qui te faut ?

Mon père, lunettes de soleil sur le nez sort la dernière valise du coffre lorsque mon regard est attiré par un mec -vraiment pas mal- qui se dirige vers nous.
Cheveux de geai, peau métissée et regard sombre, ses yeux parcourent mon corps, comme si j'étais sa proie. Eh bien, qu'il se garde son regard lubrique pour lui, parce qu'avec moi, c'est mort. Il n'a aucune chance.
Des mecs dans son genre qui se pensent irrésistibles, qui veulent ajouter un nouveau nom sur leur liste de filles baisées, il y en a des tas, et je pense que j'ai assez donné.

Dorénavant, c'est moi qui chasse, et non l'inverse.

Il me bouscule, et pousse la porte de l'immeuble avant de s'y engouffrer.

— Que des filles, hein ?

Je hausse les épaules, fronce les sourcils face au ton sarcastique de mon père.

— Que des filles, oui. C'est un immeuble d'étudiantes.
Sûrement un petit-ami de l'une d'entre elles, d'ailleurs. Qu'est-ce que j'en sais ? Faudrait juste qu'elle surveille son keum comme il faut parce que d'un seul regard, je me suis sentie nue comme un ver et généralement, ce n'est pas bon signe.

— On y va ?

Valises en mains, il désigne l'immeuble de la tête et je m'avance, pour lui ouvrir.

À l'intérieur, une odeur entêtante de clopes. Je fume aussi, mais là, je trouve ça abusé. Une porte à ma gauche, à ma droite une autre où un écriteau "Local à poubelles" est placardé, et devant moi, l'escalier de vieux bois qui mène aux étages.

Je grimpe les marches, suivie de mon père qui râle quant à l'étroitesse des escaliers et souris à la femme pimpante de la cinquantaine, qui semble m'attendre, adossée contre le mur.

— Vous êtes Dana ?

J'acquiesce, et lui tends une main.

— Oui, bonjour.

— Bonjour, Dana. Je suis la propriétaire des lieux, madame Limay. Monsieur, salue-t-elle mon père.

— Bonjour.
Elle ouvre une porte à la peinture vieillie et m'invite à entrer dans ce qui sera mon chez-moi.

— Vous avez votre chambre à main droite, dit-elle en pointant la porte. Le salon, et une kitchenette. Elle est petite mais très fonctionnelle, surtout pour une jeune étudiante.

Mes yeux parcourent les pièces avec curiosité, je m'imagine déjà bien vivre ici, entre ses meubles déjà installés. L'appartement n'est pas mal, même si quelques travaux de peintures seront à faire.

— Vous étudiez à l'université de Liège ?

— Euh... Non, je vais à l'école de coiffure, un peu plus loin qu'ici.

Elle plisse les yeux, me détaillant des pieds à la tête alors que mon père joue avec l'interrupteur, allumant et éteignant les spots du salon.
Mon regard noir le stoppe dans ses conneries et je souris à ma propriétaire.

— Hum, intervient mon paternel, pour les murs... Un coup de peinture est-il autorisé ?

— Oui, bien sûr, tant que vous restez dans les tons neutres, ça va.

— D'accord.
— Et euh... La salle de bains ?

— C'est un kot, jeune fille, me toise-t-elle de ses grands yeux verts. La salle de bains est commune et se trouve en bas des escaliers, juste en face du local à poubelles.

Je réprime une grimace par simple courtoisie mais l'idée de partager ses lieux avec d'autres me révulse légèrement. Puis, quelle idée de foutre cette pièce face au local pour poubelles.

Alors qu'ils règlent quelques formalités, je fais le tour des pièces, et ouvre chaque fenêtre pour chasser l'odeur. Pas que ça pue, mais ça sent bizarre. Probablement l'odeur des anciens locataires qui a imprégnée les murs. Je m'installe sur le bord du lit, et soupire.
C'est bon, on y est. Fini la galère avec elle, fini les ordres et les mandales données sans raisons.
Je suis chez moi, où personne ne pourra me dicter ma conduite, ni me hurler dessus à tout bout de champ.

— Au revoir, Dana.

Je relève mon visage vers la femme rousse, lui adresse un hochement de tête en guise de réponse et fixe mon reflet dans le miroir.

Triste fille. Triste fille aux cheveux longs, le visage fermé et les yeux emplis de haine.

Le passé m'a forgée, je suis obligée de me protéger en forçant des sourires et des blagues à deux balles. Je suis celle que les autres adulent un peu, qu'on déteste aussi, parfois. Grande gueule, humour, sourire. Voilà ma carapace.

Je ne me plains pas, jamais. Les blessures, seules moi les perçois, seules moi les ressens et les vis. Les gens peuvent compatir, mais oublient la souffrance d'autrui une fois dans leur confort et leur petite vie.

— Alors... T'aime ?

— Ouais, ce sera parfait.
Mon père entre dans la chambre et regarde dans les armoires, avant de jeter un œil par la fenêtre. Grâce à lui, je suis ici. Je lui ai parlé de mon envie de partir de chez ma mère, et il a très vite compris pourquoi. Je ne pouvais pas venir m'installer chez lui puisque sa nouvelle femme y est avec leur bébé. Je ne voulais pas m'imposer dans leur vie. J'ai donc fait des recherches de logements sur le Net, et il m'a assuré payer mon loyer jusqu'à ce que je trouve un boulot d'étudiante.

— Tu veux qu'on aille se manger un morceau ?

— Je dois faire des courses, réponds-je. Je dois remplir mon frigo.

— Allez, viens Dana. On va les faire ensemble.

J'opine du chef, et me  lève. 

Because of youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant