IRNINI, LA DAME DE LA NUIT

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Enkidou mène les hommes à marche forcée vers les hauteurs. Il tient sa hache d'une main et se hisse de l'autre, ignorant le chemin balisé, coupant droit à travers la montagne. Son regard est celui d'un fou. Il a fallu que le roi l'empoigne par les épaules pour l'empêcher de partir seul au secours des garçons.

Gilgamesh suit en silence, casque de guerre doré vissé sur le crâne, plastron de cuir et pectoral de fer. Derrière eux, les hommes peinent, écrasés par le poids des armes et de la peur. La hache du roi, fixée dans son dos, leur sert de repère et d'avertissement. Gilgamesh a juré par Outou qu'il décapiterait tous ceux qui lui barreraient la route ou le ralentiraient. Et c'était valable pour eux aussi.

Derrière la colonne de soldats, suivent le Shangou et une chaise à porteur, soutenue par quatre robustes esclaves . Leur passagère ne pèse pas lourd, c'est Alya, trop faible pour pouvoir suivre le rythme infernal imprimé par les deux guerriers. La présence du puissant Shangou d'Outou et de sa première Répondante atténue un peu les angoisses des Sumériens. Mais l'anxiété reste grande quand la brume, descendue des cols, les avale en silence.

***

Des bras durs et noueux soulèvent Aïden, avant de le jeter sur une épaule. Ballotté comme un vulgaire sac, il entend la respiration caverneuse du monstre qui le porte. La seule chose qui le rassure est d'entendre Sig pester à chaque fois qu'une branche le heurte.

Enfin, au bout d'un moment qui lui semble une éternité, on le repose sans ménagement au sol. Puis on ouvre le sac. Aïden se recule instinctivement. Il cligne des yeux comme s'il doutait de sa vision. Il jette un regard rapide vers Sig qui, la bouche ouverte, a les yeux aussi largement écarquillés que les siens.

D'un aspect répugnant, d'une taille plus imposante que celle d'Enkidou, une créature innommable les regarde. La laideur de cette chose dépasse tout ce que l'on peut imaginer. Aux extrémités du corps, lui poussent démesurément des tentacules de branches noueuses et pourrissantes. Le visage est recouvert d'écorces comme si la forêt l'avait fait sien, comme si elle poussait sur lui, telle une mauvaise herbe rampante. Il n'a plus, sauf les yeux, d'apparence humaine. L'homme et l'arbre s'entrelacent sans pouvoir dire où l'un commence et où l'autre finit. Le reste de son corps, calfeutré dans un long manteau de laine, émet, quand il bouge, d'étranges cliquètements pareils à la pluie sur des tuiles de métal.

Près de l'Homme-Arbre, se tiennent d'autres monstres, des créatures certainement griffées par les Shedous. Difformes ou inachevés à l'image de leurs statues.

– On vous fait peur ? On n'est pas assez beaux pour vous ?

C'est un des compagnons de l'Homme-Arbre qui vient de rompre le silence en bégayant des sons difficilement compréhensibles et en se penchant sur eux.

Les deux garçons détournent le regard.

Aux alentours, s'étendent des cabanes en bois entourées de petits jardins. Mais les habitations paraissent désertes et abandonnées, comme si les occupants avaient fui précipitamment en oubliant de fermer les clôtures. Les animaux domestiques, livrés à eux même, bondissent sur place par soubresauts.

Un des monstres émet un hululement strident. D'autres lui répondent en écho. Un mélange de bruissements et de murmures étouffés commence à s'élever. Bientôt, des centaines de torches surgissent des buissons. Aïden voit alors s'avancer un drôle de cortège. Des hommes, des femmes et des enfants vêtus de longs manteaux de laine, armés de lances, d'arcs, de fourches, de pelles, de piques, de serpettes et bien d'autres outils, plus efficaces pour faucher les foins que les têtes.

Tandis qu'Aïden regarde, pétrifié, le spectacle de cette population dont la moitié est ravagée par d'effroyables malédictions, les formes moribondes les encerclent.

Aïden - Le Cri de GilgameshOù les histoires vivent. Découvrez maintenant