Agatis [1/3]

48 6 0
                                    

- N'approchez pas de la vitre, fit le docteur au jeune policier, ne touchez pas la vitre, ne lui transmettez que des feuilles de papier, surtout pas de stylo ou de crayon. Ni agrafe ni trombone sur le papier, n'utilisez que le plateau coulissant et rien d'autre. S'il tente de vous transmettre quoi que ce soit ne l'acceptez pas, est ce que c'est bien compris ?

Les ordres défilaient aussi vite qu'ils traversaient les couloirs de plus en plus sécurisés. Le son exécrable qui parvenait à ses oreilles lors des ouvertures des portes l'empêchait de bien saisir l'importance de ces informations. Il préféra acquiescer.

- Oui monsieur.

- Bien, vous pouvez entrer. S'il y a un problème, criez.

L'effervescence subvenue par la présence du docteur disparut en même temps qu'il laissa son interlocuteur seul, face à la dernière grille. Ce fut pour lui comme une grande bouffée d'air dans ce sous sol qui sentait le renfermé, le moisi et la chaleur humaine.

Cette partie de la prison était presque toujours inoccupée, si bien que les néons mirent un temps infini à s'allumer, malmenés par le temps et leur utilisation. Il nota que très peu d'entre eux ne clignotaient pas. Le garde lui lança à nouveau, au loin :

- S'il y a un problème, criez.

La grille émit un grincement inquiétant lorsque le garde la reclaqua derrière le jeune homme. Cela avait quelque chose de définitif.

- C'est la treizième à gauche.

Il ne put retenir un frisson, tenta de garder contenance. Il se répétait comme un mantra : Si le directeur m'a choisi, c'est que j'en suis capable. Si je suis ici, c'est que j'en ai les pleines capacités.

Il ne devait pas faiblir, pas un seul instant. D'un geste familier, il embrassa la croix pendue autour de son cou, héritage de sa famille catholique.

Le nouvel agent souffla. Malgré son jeune âge, il avait l'impression de porter le monde sur ses épaules . Après tout, ce qu'on lui demandait était plus que singulier.

Il allait rencontrer la créature du diable.

Le monde avait les yeux braqués sur sa personne, se disait il. Si c'était le cas, les enfers devaient prendre plaisir à le regarder, lui, le petit presque-policier frémissant de terreur à l'idée de devoir parler à leur progéniture.

Le couloir lui parut immense, le narguait en s'allongeant au fur et à mesure que ces pas lui permettaient d'approcher l'immense vitre blindée qu'il voyait au loin. Une seule cellule, entre deux, était occupée.

- La mort viendra tous nous chercher... cracha le détenu, derrière ses barreaux, les yeux injectés de sang.

Essayant de ne pas voir dans les paroles de l'aliéné une quelconque prédiction, il accéléra, atteignant enfin son but.

Une chaise avait été mise là pour lui. Il aurait pu apprécier le geste - il avait grand bonté d'âme - mais quelque chose de plus important le tourmentait. Il tourna sa tête vers la vitre, retint sa respiration.

La silhouette habillée en tenue de pénitencier était debout, comme figée en pleine action. Ses deux orbes gris pâles se plantèrent dans les siens sans détour, légèrement cachés par une chevelure ébène. La folie les habitait.

Jungkook retint un frémissement de terreur. Ces yeux là avaient vu la mort, s'étaient unis avec elle. C'était cet homme qui avait mordu la chair de la nuque, d'abord, pour les affaiblir. Puis sournoisement, lentement, malicieusement, ses mains de marbre avaient serré, serré le cou pour les étrangler. Il avait ôté le souffle à ses victimes, à tout jamais. Toutes les trois venaient de Liverpool. Il ne les connaissait pas, mais à cet instant, à ce moment, c'était comme si l'autre avait tué ses frères.

AgatisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant