La Complémentaire Verte.

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  Du haut de son estrade, Silya, diffusant sa voix sombre dans les esprits des usagers du bar miteux dans lequel elle se produit, se demande encore pour quelles raisons le monde est ainsi; fade.

Chaque visage vissé sur son être, chaque homme, chaque femme, lui rappellent à quel point la vie est monotone, à quel point elle leur ressemble, elle, souffrant, se torturant, vibrant de douleur pour des choses qui lui semblent futiles.

Lorsqu'elle écrit, lorsqu'elle chante, c'est pour tenter vainement d'expulser de son âme sa colère, son mal être, sa douleur, son désespoir ou son éternelle insatisfaction.

Mais elle le sait, c'est une action bien inutile, pour cela, pour se soulager, elle doit y faire face, à tous ses désarrois. Mais cela est au dessus de ses forces, alors elle continue de se laisser porter par ses maux les écrivant mot-à-mot, les chantant de tout son mal.

La colère qu'elle subit, contre elle, contre les autres, se matérialise dans son enveloppe physique.

Grande,élancée, décharnée, musclée.

La couleur de ses cheveux transpirent le feu qui oeuvre en elle, rouge comme un fer chauffé.

Ses yeux bleus azur sont cependant sa seule douceur apparente, ils reflètent son espoir en la vie, en l'amour qui se cache en elle. Un espoir froid comme la glace, dur.

...

Maud,cherchant à se détendre, à oublier le dossier compliqué qu'elle venait d'accepter, se perdit dans la nuit noire qui englobait la ville lumière. En ce mois de novembre, le froid envahissait déjà Paris et elle se réfugia dans un bar aux allures vieillotes. Dès son entrée, certes peu discrète dû à son jeune âge et à la beauté frappante émanant d'elle, la jeune femme se retrouva envahie et désarçonnée par ce qui semblait être une voix de femme provenant du sous sol, l'attirant profondément.

Elle descendit les marches qui la menèrent dans un endroit chaleureux et calme , bondé d'auditeurs admiratifs et hypnotisés par une femme aux cheveux de feu et à la voix de ténèbres.

Elle se retrouva, elle aussi, à être subjuguée par le sentiment de force brute qui se développait autour de cette femme. Jamais elle ne s'était sentie ainsi submergée.

Son cœur s'écrasa dans sa cage thoracique, son souffle disparut et elle resta en apnée jusqu'à ce que la dernière note prononcée par la femme aux cheveux de braise ne s'achève.

La chanteuse descendit lentement les marches de la scène et se dirigea vers la sortie d'un pas sec et pressé, une cigarette glissée entre son index et son majeur, un briquet dans l'autre main .

Maud, comme en transe quelques minutes auparavant, se leva alors et sortit à son tour, afin de faire la même action destructrice que Silya. L'air glacial de la rue, l'agitation humaine qui en émanait,rendit ses esprits à la jeune blonde. S'allumant sa cigarette rapidement, elle ne vit point l'artiste à la voix d'or approcher et se poster à côté d'elle.

-Bonsoir.

Un mot, prononcé d'une manière si douce, un mot, qui fit néanmoins sursauter Maud, se retournant afin de voir qui avait prononcé ledit mot.

La surprise mélangée à la fumée la fit presque s'étouffer, mais elle reprit plus ou moins possession de son être.

-Vous chantez divinement bien... dit elle dans un souffle presque imperceptible.

-Merci. Et vous, vous écoutez divinement bien... Je vous ai vue depuis votre entrée dans le sous-sol. Vos yeux sont hypnotisants...souffla à son tour la belle Silya.

La Complémentaire Verte. One Shot. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant