Il écoutait Tchaikovsky, le casque sur la tête. Le regard noir fixé sur l'heure de sa montre. Il était assis sur un petit banc en bois blanc, devant une statue de bronze d'une taille démesurée. Il ne bougeait presque pas, il réfléchissait, attendait un moment propice. Et celui-ci, il l'attendait depuis longtemps. Depuis presque la création de ce qu'il avait fait de son génie, cette chose dont personne ne savait l'existence à part lui, et, auparavant, une personne, la seule qu'il avait aimé. Cette personne il y pensait souvent, avec de la haine et de la rancune. Il ne s'était jamais vraiment senti bien, comme un mal-être pesant sur ses épaules que seul lui ne comprenait pas. Il se réveillait chaque matin avec cette boule au ventre dont seul lui savait l'existence. Ces maux, il les avait depuis que cette personne l'avait quitté. La rupture avait été d'une douceur mortuaire, d'un geste futile, il lui avait appuyé la lame dans le dos pendant un moment de tendresse. Durant ce moment, elle le regarda droit dans les yeux, leur nez se touchaient, et dans son regard, on pouvait y voir la valse des morts, la sienne, celle d'une jeune fille et la mort lui tendant la main. Elle l'aimait, lui ne la croyait pas mais il l'aimait aussi. Du haut de ses yeux verts, elle le regarda d'un air presque heureux, comme si elle avait su son destin depuis le début et qu'elle l'attendait. D'un geste comparable au premier, il lui ôta sa lame et ainsi perdu son âme. Elle tomba sur le sol et vaint alors lentement une lueur de rouge. Celle qu'il aimait ne fut plus que passé en un instant et un silence morose s'installa rapidement.
Mais ce moment, il savait pourquoi il l'avait fait et l'avait trouvé nécessaire. Comme cette chose qu'il avait créée de ses propres mains. Elle était en face de lui. Elle se trouvait sur son écran. Sur le sien, et sur celui de tout le monde. Cette chose était partout, comme une maladie qui s'entend et frappe sans prévenir. Tout l'Univers en était infecté et personne ne voyait la chute. Il avait réussi à l'infecter par de simples transferts dont personne ne se doutait de l'utilité. C'était comme un jeu que tout le monde possède, mais dont personne ne se sert. Et pourtant, ils auraient dû ne pas être ignorants et simplement faire attention sans faire confiance à n'importe qui.
Mais il réfléchissait encore. Il allait le faire, mais il attendait une fin. Celle dont seul lui pouvait savoir. Il ne savait pas de quelle manière en terminer avoir ce mal-être qui le rongeait depuis maintenant bien des années. Car lui aussi, comme sa bien-aimée, il savait quand son temps serait révolu, sauf que lui, il pourrait le choisir. Et ce temps arrivait à grand pas. Plus il se rapprochait et plus la manière de cette fin était claire.
L'heure était venue. Il regarda sa montre une dernière fois, il entra quelques lignes de codes, fit la mise à jour et attendit. Seulement quelques instants suffirent à éteindre toute une ère, toute une génération sur laquelle le monde dans lequel il vivait s'était basée. D'un seul clic il détruit une partie de l'histoire de l'humanité. Il déposa son portable à côté de lui, se leva et marcha quelques mètres devant lui. Il arriva à la hauteur de la grande statue de bronze où se trouvait un lac remplit des cygnes, regarda l'eau, y tomba la tête la première et y respira une bouffée d'eau pure. Sa douleur s'était évadée. Il avait laissé sur son banc blanc derrière lui un monde en ruine. Un Univers venait de s'écrouler, celui de l'informatique. Ils n'étaient plus. L'humanité toute entière pleurait son monde irréel tandis que l'anarchie s'installait peu à peu dans celui opposé.
Il avait trouvé la solution, celle qui lui convenait le mieux. Lui aussi avait décidé de rejoindre la danse macabre de son amie. Il avait trouvé une fin convenable à sa personne. La mort.