Une nuit...

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   Le village entier était en panique. Portes et fenêtre closes, toutes torches allumées, les habitants enfermés à double tour chez eux, il régnait une peur commune que nul feu, nulle sécurité ne pouvait dissiper. Et cette crainte tenait en une chose, un simple signe : la pleine lune. Aujourd'hui, était la nuit maudite. Tout le monde le savait. Qui n'avait pas entendu les légendes ? Qui n'avait jamais perçu cette rumeur inquiétante, celle qui se résumait en un seul mot : lycanthrope ! Les grandes villes se plaisaient à mépriser et moquer les contées lointaines si peureuses de ces loups. La vie était bien différente là-bas, si tranquille, si sure... Ici, rien n'est jamais gagné, rien n'est certain. Fausses ou non, les rumeurs demeuraient un danger aux habitants. Si des lycanthropes avaient bel et bien survécu, et sévissaient dans la région... Urark frissonna. Il n'osait contre-dire les ordres de son père et se risquer à entre-bailler la fenêtre. Ce serait là un geste d'une stupidité extrême. Il n'était pas suicidaire. Et pourtant, il ne pouvait réprimer cette curiosité qui le prenait aux tripes et lui montait à la gorge en un nœud désagréable. Là, dehors, gémissait le vent contre le bois grinçant de la baraque. La forêt murmurait ses promesses nocturnes, quelques créatures incertaines reniflaient, sifflaient, hurlaient. Et cette chanson quotidienne était comme une berceuse envoûtante pour lui. Il aurait voulu courir dehors, respirer l'air frais, sentir la froideur de l'hiver sur sa peau, le souffle du vent dans ses cheveux, la morsure sanglante des branches sur son visage. Mais il était là, enfermé dans une pièce étroite dont les quatre murs semblaient chaque jour avancer un peu plus, telle une cage se refermant lentement sur lui. Il se sentait prisonnier. De sa famille, de son village, des Hommes. L'idée de demeurer à jamais captif de ses parents, tel un esclave, le révulsait davantage de jour en jour. Après tout, n'avait-il pas le droit d'être libre ? N'était-ce pas là l'aspiration profonde de chaque Homme ? Qui interdirait donc à un adolescent de nourrir des rêves de voyage et de hasard ?

- Urark !

   La voix avait résonné juste au-dessous de lui, si habituelle qu'il l'entendit à peine. C'était sa sœur, évidemment. Elle allait encore lui demander d'attiser le feu, de lui recoudre son jouet plus chiffon que réelle poupée, ou encore de lui conter une histoire. Il soupira. Nyma n'avait que huit ans, et lui approchant la quinzaine, il était fatigué de toujours devoir s'occuper d'elle.

- Urark !!!

   Tant de souvenirs, tant d'habitudes étaient reliées à cette voix. Pourtant, en cet instant même, elle fit jaillir en lui un sentiment étranger, profond, désagréable. Agressif. Il vacilla sous le coup de cette émotion inconnue, si poignante, et se retint de justesse à la poignée de la fenêtre, débloquant accidentellement le verrou. Le bois grinça brièvement lorsque le rabat claqua contre le mur, dehors. La panique le saisit soudain. Il avait ouvert la fenêtre ! Il se précipita confusément pour la refermer, quand son regard fut attiré par un éclat. Tout là-haut, au dessus de lui, luisait étrangement une pâle lueur dans la nuit. La lune. Elle ne lui avait jamais paru aussi belle, aussi ronde, aussi grande, aussi parfaite. Il avait rarement vu de pleine lune. La peur et la tradition forçaient les gens à s'enfermer ces nuits-là... Un coup de vent lui parvint, jetant un froid glacial dans la pièce sans qu'il ne le ressente vraiment. Ses pensées s'effacèrent peu à peu alors que la voix agacée de sa sœur retentissait, loin, très loin. Le monde lui paraissait si distant, si brumeux, et la lune si nette, si belle. Phare dans la tempête de sa vie, elle semblait être là comme un guide éclairant sa voie, ses rêves. Un symbole de promesse et de liberté.

   Il ne sentit pas la chose venir. Il eut à peine un léger pincement, un frisson désagréable qui n'augurait rien de bon. Puis la souffrance. Soudaine, inattendue, intense.

   Il bascula dans le vide de la fenêtre sans s'en rendre compte, ressentit à peine le choc de sa chute. Il ne pensait plus à rien. La douleur était toujours là, poignante, mais son désarroi était bien plus terrible. Il ne se souvenait de rien. Sa mémoire lui échappait brusquement, ses rêves s'évanouissaient en fumée alors que l'évidence s'imposait à lui. La lune ne lui offrait pas la liberté, mais l'esclavage, l'exclusion, le danger. Il eut à peine le temps de le comprendre que déjà sa conscience se perdait. Il était trop tard. Il avait cédé. Un mot, un ultime mot, se perdit dans son esprit, tel un murmure lointain et menaçant.

   Lycan...

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 26, 2017 ⏰

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Lune mauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant