-Tu n'arrêteras donc jamais?! Je te quitte!
-Bon débarras!!"
Il prit un large verre circulaire dans le meuble-bar et se le remplit de whisky. Il le finit d'un coup sec, se resservit et recommença l'opération. Il avait le sentiment de laisser sa vie lui glisser entre les doigts, mais il ne voulait pas l'assumer. Il voulait oublier. Rien n'allait plus, et il allait devoir y remédier sans attendre. Il reposa violemment le verre sur le bois du meuble et il vibra dans sa main. Il s'éloigna en chancelant vers la chambre de sa fille. Il entra dans sa chambre et cria une phrase inintelligible. Sa fille de neuf ans lui dit doucement : "Papa, tu as bu, va te reposer." Il l'observa d'un regard incrédule et dit, tout bas, dans un soupir : "Qui te dis que j'ai bu?'' Elle prit un air grave, mais parla toujours aussi doucement : " Je le sens. Va te coucher, vite." Il obtempéra comme un petit enfant, la tête rentrée dans ses épaules. Il se rabrouait intérieureument d'être aussi faible. Elle l'accompagna jusqu'à sa chambre. Il entra, et elle referma doucement la porte derrière lui. Tendant l'oreille, il perçut le craquement de la clé dans la serrure. Il était enfermé. Pas de problème : sa chambre possédait une large baie vitrée à pan coulissant. Elle était d'ailleurs ouverte. Il passa une jambe, puis deux, et se faufila dehors, certes un peu difficilement. "Quelle bonne idée d'avoir installé ma chambre au rez-de-chaussée", se dit-il,satisfait, dans un sourire. Il sauta du petit rebord. Il était libre.
"Excusez-moi...euh, vous chercher quelque chose?" il le regarda avec son habituel regard incrédule : "Pardon?" L'homme se dandina, gêné. "C'est que, vous êtes là depuis une heure et je me demandais si vous cherchiez quelque chose.
-Non, non. Merci."
L'homme s'éloigna. Il n'avait pas vu le temps passer. Etait-il vraiment dans cet office de tourisme depuis une heure? Il n'en avait aucune idée. Il était adossé contre le mur et perdait son regard dans le vide. Les touristes qui entraient le regardaient bizarrement, mais il ne s'en occupait pas. Au moins ici, les violentes raffales de vent ne l'atteindraient pas. Il se décida enfin à bouger et enfonça sa main dans la poche de sa chemise à fleurs. Il fouilla dedans, et trouva enfin ce qu'il cherchait : son porte-feuilles. Il l'ouvrit et sourit jusqu'au oreilles. Sa carte bancaire était bien là. Il la tourna et retourna dans sa main. Ses espoirs retombèrent d'un coup lorsqu'il vit les gribouillages que son fils avait fait dessus au feutre. "Aucune importance., se dit-il, tout de même un peu déçu. En plus, c'est très joli." il ouvrit une autre poche de son porte-feuilles et trouva deux billets de cinquante. Soulagé, il se redressa et se dirigea vers la sortie. "Au revoir, Monsieur", lui dit la réceptionniste.
Il connaissait un hôtel deux étoiles au nord de la ville. Avec cent euros, il se débrouillerait pour avoir une chambre, pour au moins une nuit. Il n'avait aucune idée de ce qu'il ferait après. Mais il fallait se concentrer sur l'instant présent. Soudain, une idée s'immiça dans son esprit. Des chaussures, il lui fallait des chaussures. Il entra dans une superette et ressortit avec une paire de tongs roses et jaunes trop grandes pour lui. Il les enfila et continua sa route vers l'hôtel. Il y arriva en moins d'un quart d'heure. "Bonjour, fit-il à la réceptionniste. Pourrais-je avoir une chambre pour une nuit, s'il vous plaît?" La jeune femme mit des lunettes rondes sur le bout de son nez, sortit un gros registre et parcourut les pages pendant un moment qui lui parut une éternité. Soudain, elle s'arrêta, et demanda d'une voix fluette : "Vous aviez réservé?" "Euh... Non", avoua-t-il. "Alors ça va être compliqué...Ah non, j'en ai une libre. C'est la 835. Cela fera quatre-vingt-dix euros, s'il vous plaît. Merci. Bon séjour, Monsieur", ajouta-t-elle en lui tendant la petite clé. Il la prit et, se retournant, il appuya sur le bouton de l'ascenseur. "Monsieur..." il se retourna. "il est hors service..." il hocha la tête et entama la montée. Arrivé au huitième étage, il trouva la 835 en cinq minutes. Il ouvrit la porte, entra, s'allongea sur le lit, et s'endormit.
