Le début du commencement.

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30 JANVIER.

HEURE : OO h 43

La porte se claqua, il doit être minuit passé. En tout cas c'est ce que je présume puisque mes rendez-vous professionnels durent très rarement plus de deux heures, mais surtout parce que la nuit est noire et effrayante au dehors. Très vite je suis venue m'assoir, les jambes repliées sur moi-même comme si je voulais disparaître, comme si je voulais ne plus être dans cette pièce qui au fond de moi me fait beaucoup de mal. Mon dos est encore appuyé contre le derrière la porte que mon dernier client de la soirée venait de fermer. Des larmes cristallines roulent sur mes joues si pales. Mon quotidien n'est pas celui d'une jeune fille de dix-huit ans normale et ça depuis mon enfance :

· Jeunesse dans une des banlieues malfamées de la capitale anglaise. Tu sais ce genre de quartiers où personne n'ose lever les yeux, ce genre de quartiers où la peur tétanise les habitants, ce genre de quartier où la drogue, la violence et la prostitution règnent en maîtres. C'est dans cet environnement que, moi, la petite brune fragile a grandi, entourée d'une famille éclatée.

· Une mère toxico qui ne se préoccupe seulement de ses doses héroïnes devenues essentielles, vitales pour elle, une mère qui ne se rappelle à peine de mon prénom.

· Et un père mafieux, et à la tête d'un réseau de filles de joies.

Voilà comment je me suis retrouvée ici. Mon père n'a pas trouvé de meilleure candidate pour la place de prostituée que sa propre fille. J'ai tellement voulu être une de ces enfants normales, une de ces filles qui va à l'école, qui joue aux poupées, qui a des amies, qui a pour seule préoccupation de s'amuser tout simplement. Je suis aujourd'hui tout le contraire de ça.

Mais très vite je reprends mes esprits c'est ainsi que l'on me connaît, alors je me redresse d'un coup, essuyant mes joues d'un revers de poignet en reniflant bruyamment. Je fais de mon mieux pour me donner cette impression de visage fermé, parce que devoir montrer une façade froide et dure est devenue une habitude. Je ne suis que l'ombre sombre d'une jeune fille détruite. Je me déplace jusqu'à mon lit. La couverture y est en désordre comme si un coup de vent violent l'avait déplacé. Seulement, les images de tout ce qui s'est passé ici reviennent d'un coup, pour me hanter encore et encore. Je t'en ai parlé souvent de mes peurs n'est-ce pas ? De colère je mets un coup de poing dans le lit, et seul un petit son étouffé en sort c'est loin d'être le bruit suffisant pour montrer combien ma haine est forte. Je me jette sur mon lit et frappe mon matelas taché par les nombreux clients que j'ai vu défilé ici et je pousse ensuite un cri d'énervement. Pourquoi c'est moi qui doit vivre ainsi ? Pourquoi on m'a choisi pour vivre ce genre de choses ? Pourquoi ? Toutes les questions que je me pose depuis enfant commencent par cette interrogation. Cependant avec le temps j'ai appris à ne plus rien dire, à ne plus réfléchir à quelle vie j'aurais pu avoir.

Une liasse de billets sur la table en face de moi me rappelle alors que je dois désormais amener le solde de ma journée à mon père. Parce que oui, sur une journée de cinq clients je ne garde jamais plus qu'une dizaine de livres et ça pour les meilleurs jours évidemment. Alors en ne faisant pas plus attention à ce que je peux enfiler, mes pensées partent à nouveau dans tous les sens, comme si il m'était impossible de les contenir ne serait-ce que quelques secondes. Puis je me dirige vers le bureau de mon patron. L'appréhension me gagne, je me connais et je sais combien je suis faible face à un homme. Je n'ai jamais eu aucun moyen de me défendre et j'en suis consciente. Alors, après une longue hésitation je me mets finalement à frapper faiblement à la porte. Mais crois moi je suis loin de m'imaginer que fais bien de m'inquiéter.

Très vite un "Entrez" grave et effrayant résonne dans la pièce et le couloir dans lequel je suis. Tout autour de moi est sommaire mais tu sais à vivre dedans depuis toujours; s'est déjà à mes yeux un grand luxe, même si s'est à peine si les murs tiennent encore debout. Je pousse la porte en retenant mon souffle. Mon cur bat tellement fort que j'ai l'impression qu'il va s'enfuir, j'ai cette impression qu'il tape tellement fort que le monde entier peut l'entendre résonner.

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"-J'ai failli attendre, fit l'homme avec rapidité en me voyant rentrer dans son bureau. T'as combien ? Deux cents ? Deux cents cinquante ?"

A toutes ces questions je baisse la tête, serrant les mâchoires avec force. Je ne veux pas fondre en larmes en connaissant ce qui va arriver si je lui avoue que je n'ai récolté à nouveau qu'une centaine de livres seulement. Relevant le regard lentement je secoue la tête.

"-Cent dix," répliquais-je en essayant de me montrer plus forte et déterminée. Je veux essayer de soutenir le regard de mon père, seulement quand celui-ci se lève d'un coup pour abattre son poing sur la table qui sert de bureau, je bondis. La suite est toujours la même. Tout va tellement vite que je nai pas le temps de ciller. Un son d'air battu. Un sifflement puis un claquement qui résonne dans toute la misérable pièce. Ma joue en feu, les larmes aux yeux ; pas la peine de te faire un dessin mon père vient de me mettre une gifle sous l'agacement. Il souffle comme un animal sauvage, de tout façon c'est à ça qu'il ressemble. La masse trapue a fait le tour de la table pour me pousser violemment contre le mur derrière moi. Crois moi je suis la première surprise de voir qu'il tienne encore après que je me sois fait plaquer contre. Enfin ça, avant que ma tête ne tape rudement, mais surtout avant de fondre en larmes sous l'humiliation et la douleur.

"-Tu n'es qu'une incapable, qu'une putain d'incapable", répète-t-il en me fixant dans les yeux. L'homme s'est lentement reculer avant d'aller s'asseoir derrière la table, ses mains tremblent encore de l'énervement si spontané qui l'a pris. Il semble d'ailleurs respirer profondément pour se calmer. Je suis toujours contre le mur, et je mords avec force l'intérieur de mes joues pour m'éviter d'autres problèmes en pleurant devant mon père.

"-Si demain tu me ramènes pas le double, crois-moi gamine, tu vas le regretter toute ta misérable vie", fit-il dans un sifflement avant de lui faire signe de partir. Une mine pleine de dégout métamorphose son visage comme si voir sa fille le répugne au plus profond de son être.

Alors sans me faire prier je m'empresse de sortir de la pièce, tenant l'arrière de mon crâne en courant jusqu'à ma "chambre". En claquant la porte, mes épaules s'affaissent et la pression de mes mâchoires sur l'intérieur de mes joues se relâche; à peine quelques secondes plus tard j'éclate en sanglots. J'ai toujours été si fragile, si jeune, d'un côté je me dis toujours que je ne mérite pas ça. En regardant ma main, j'ai le temps de remarquer le sang qui en sort au même rythme que la progression de ma douleur. Mon corps devient de plus en plus étourdi comme si j'allais à tout moment perdre connaissance. Ma tête tourne dangereusement alors que mes yeux se ferment. Ma respiration et mon rythme cardiaque ont rapidement doublé d'intensité. Puis seulement quelques secondes plus tard, plus rien.

Le journal intime d'une égaréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant