Retrouvailles

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Je pousse la porte d'entrée. Cette porte que je n'avais pas poussée depuis dix ans. Étonnamment elle s'ouvre sans résistances, soulevant au passage un nuage de poussière. Je tousse un moment avant de rentrer et d'appuyer sur l'interrupteur, la lumière ne s'allume pas. Évidemment on a coupé l'électricité, puisque personne n'habite cette maison depuis dix longues années. Je me saisis donc de mon téléphone portable et allume la lampe de ce dernier.

Rien n'a changé, tout est exactement à l'endroit où nous l'avons laissé avant l'accident. Je passe la main sur le velours devenu rêche avec le temps du canapé. Un détail attire mon regard, sur le mur des photos sont accrochées. J'en attrape une et passe la main dessus pour en chasser la poussière. Les larmes me montent aux yeux aussitôt, sur la vieille photographie aux couleurs délavées une moi plus jeune accompagnée de son portrait au masculin me sourit. Arthur. Il est mort dans l'accident, enfin quelques jours plus tard en me sauvant la vie. J'avais besoin d'une greffe et mon frère en mort cérébrale était parfaitement compatible.

Je repose la photographie et sèche mes larmes, se morfondre dans le passé ne sert à rien. Je suis là juste pour récupérer quelques affaires, pas pour ressasser de mauvais souvenirs. Je me dirige donc vers les escaliers lorsque un grincement me fait sursauter. Le cœur battant, je me retourne. Mais il n'y a rien ni personne derrière moi. C'est sûrement le vent, me dis-je en secouant la tête, les fantômes ça n'existe pas. Sur cette conclusion je finis de traverser le salon et commence à grimper les escaliers quatre à quatre. L'étage est à l'image du rez-de-chaussée, poussiéreux. Je traverse rapidement le couloir et pousse la deuxième que je croise sur ma droite.

Ma chambre n'a pas changé depuis dix ans. A part les draps rongés par les mites et le tapis dans le même état, tout est à sa place. Je souris, nostalgique, en regardant les étoiles anciennement phosphorescentes décollées du plafond bleu nuit par le temps et qui gisent à présent sur le sol, comme des rêves d'enfant abandonnés. Je me laisse tomber sur le lit qui grince méchamment sous mon poids mais je n'y fais pas attention, plus intéressée par le livre de contes posé sur la table de nuit. Mon préféré de l'époque, Les milles et une nuits, je souffle sur la couverture pour en chasser la poussière. Étonnamment les mites ne l'ont pas dévoré, il est en excellent état. Je l'ouvre et ne peut retenir un cri, me levant d'un bond du lit, lâchant le livre qui tombe sur le sol. Il atterrit grand ouvert, entre les pages, sur un morceau de papier jauni on peut lire en grandes lettres rouges : « VOLEUSE ! » Je recule une main sur le cœur, ne pouvant m'empêcher de jeter des regards effrayés autour de moi comme si je m'attendais à ce qu'un monstre sorte du placard. C'est stupide. Je reprends ma respiration, ramasse le livre et le repose à sa place après l'avoir soigneusement refermé. Un plaisantin a dû réussir à s'introduire dans la maison afin de glisser ce mot dans le livre. Je fais le tour de la chambre, récupérant ce qui m'intéresse et un souffle régulier. Si celui qui a glissé ce mot souhaitait me faire peur, il avait réussi son coup.

Je sors de la pièce et m'arrête devant la porte d'en face, j'hésite la main au-dessus de la poignée mais finis par me retourner et traverser le couloir en direction des escaliers. Un craquement retenti dans mon dos et je sursaute, une main sur le cœur. Je me retourne, cette fois encore il n'y a rien. Je me gronde intérieurement, c'est une vieille maison évidemment qu'elle craque espèce d'idiote. J'accélère tout de même le pas, quelque chose dans l'atmosphère me met mal à l'aise. J'atteins enfin la porte d'entrée avec un soupir de soulagement. J'appuie sur la poignée et tire la porte. Rien. Je réitère l'opération, la porte ne bouge pas. Je la secoue, la tire, la pousse, lâche mon sac pour avoir les deux mains libres. Rien à faire. La porte ne bouge pas. Je ne l'ai pourtant pas fermée à clefs. Les mains tremblantes, je tire mon téléphone de ma poche, cette maison commence à me faire peur. En essayant de contrôler les tremblements de mes doigts je pianote le numéro d'urgence sur le clavier de mon téléphone. Après quelques sonneries, une voix électronique retentit me demandant quelle est mon urgence. Je m'explique d'une voix tremblante lorsqu'un murmure me parvient subitement :

« Voleuse. . . »

Je me retourne et le téléphone tombe au sol avec un bruit mat. Devant mes yeux éberlués se tient Arthur, mon jumeau à qui je dois la vie. Il a toujours le visage de ses huit ans, de grands yeux noisettes, un nez piqueté de tâches de rousseur, un front caressé par quelques mèches noirs qui entourent son visage en une explosion incoiffable. Il est exactement comme la dernière fois que je l'ai vu. A un détail près. Sa poitrine est grand ouverte et à l'endroit où devrait se trouver son cœur, il n'y a qu'un grand vide. La voix digital sort toujours de mon téléphone tombé au sol, mais je l'entends plus. Tout mon attention est fixée sur le petit garçon qui me fait face. Ses lèvres s'entrouvrent pour laisser échapper un murmure :

« Voleuse. . . »

Je porte ma main à ma poitrine par réflexe, sous mes doigts je sens mon cœur palpiter beaucoup trop rapidement. Le garçon plante ses yeux noisettes dans les miens et je sens ma poitrine se bloquer. L'air me manque. Je tombe à genou, tentant vainement de reprendre ma respiration. Le petit garçon s'approche lentement, répétant inlassablement le même mot. Ma vision se brouille et je m'écroule, sous le regard vide du fantôme de mon frère décédé.

* * *

« Police ! ouvrez la porte ! »

L'homme frappe sur le battant de bois de la porte. Aucune réponse.

« Ouvrez ou nous serons obligés de défoncer la porte. »

Toujours aucune réponse.

Les deux hommes se regardent, c'est pourtant bien d'ici qu'on les a appelés. La fille au téléphone avait l'air terrifiée et sortait des choses sans queue ni tête. Le plus grand finit par soupirer et se jette contre la porte. Cette dernière ne résiste pas plus que ça à son assaut et s'ouvre sans grincer. L'homme entre et jette un coup d'œil circulaire à la pièce avant de pousser un cri de surprise et de s'élancer vers la forme étendue au sol. C'est une jeune fille qui sembla avoir tout juste 18 ans. Ses yeux noisettes sont grands ouverts en une expression de terreur absolue. Il se tourne vers son acolyte.

« Appelle les secours ! »

Le deuxième homme n'hésite pas et se saisit rapidement de son téléphone. Tandis que ce dernier sonne, il s'approche du corps inerte de la jeune fille et ne peut retenir un soupir surpris.

« Eh ben. On croirait qu'elle a vu un fantôme. »

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 27, 2018 ⏰

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