Chapitre 3

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  Une ambiance effervescente agite la maison où tous les membres de ma famille semblent se dépêcher. Je semble être spectatrice devant cette agitation vivace, comme si elle m'était complètement extérieure. J'ai pourtant l'habitude de cette excitation des départs en vacances, sauf que là, c'est uniquement pour moi que s'agite tout ce petit monde ! Je m'amuse à voir ma mère courir dans tous les sens en me criant dessus, parce que j'oublie ceci où qu'elle a perdu cela...
  On se retrouve finalement tous dans la voiture, brûlante de chaleur. La faîcheur du soir semble pourtant perdurer alors que l'aube à peine perceptible pointe le bout de son nez au fond de l'immensité sombre et à moitié étoilée qui s'étend à perte de vue.
  La voiture roule en ligne droite jusqu'à l'aéroport. Je regarde par la fenêtre, pensive : je me demande si les paysages vont beaucoup changer, depuis ma petite ville de province française jusqu'en Californie. J'essaye de visualiser le plus de détails dans la clarté du jour qui s'intensifie à chaque mètres que nous parcourons, et de les mémoriser comme si je m'apprêtais à les quitter pour ne plus jamais les revoir. Je tourne la tête vers Kelan, qui me regarde avec un air naïf en désignant la valise qui sépare nos deux visages, me faisant bien comprendre qu'encore une fois, il était le dernier à être mis au courant de la situation. Il tente de comprendre depuis le début de notre trajet pourquoi nos parents me mettent à la porte.
  Je me suis bien éloignée de Kelan depuis sa rentrée au collège. Tout cela me semble absurde aujourd'hui, comme si je voulais rattraper le temps perdu -je met ces pensées ridicules sur le compte de l'émotion du départ. Pourtant je sais que nous en avons gros sur le coeur, autant l'un que l'autre. Nous nous contentons tous deux d'un sourir silencieux, et je tourne la tête vers ma mère qui m'interpelle :
  -Nous nous sommes renseignés, il y aura plusieurs cours de piano, et tu pourras t'inscrire à des groupes de musique, dit-elle en sortant une brochure de la boîte à gants, Classique, Variété, Jazz et Rock ! Tu auras aussi des cours d'histoire de la musique et tu passeras les épreuves avant le spectacle, qui lui aura lieu à la fin du stage auquel on t'a inscrite. Les différents groupes pourront jouer et montrer les qu'ils ont étudiées, et si tu fais partit de ceux qui n'ont pas été choisis aux auditions, tu aideras à servir le buffet pour le publique...
   Je meurs d'envie de lui demander la date à laquelle est prévu mon retour, et je me gratte frénétiquement le bras en attendant de trouver la bonne formulation :
  -Et... le stage se finit quand ?
  -Tu pourras rentrer dès que tu auras les résultats des épreuves. On va essayer d'être présents pour le spectacle, mais tu sais qu'avec le prix du voyage rien n'est moins sûr...Dans ta valise, tu...
  Ma mère commence à partir dans un monologue, comme pour se rassurer elle-même. Pendant que mon esprit divague, je détourne mon regard dans le rétroviseur situé au-dessus du tableau de bord de l'auto. J'observe le reflet des grands yeux noirs de mon père, et de ses sourcils froncés devant les rayonnements du soleil qui commence à se faire ardent. Lorsque je tourne mon regard par la fenêtre, je constate que notre voiture rentre dans le parking de l'aéroport. Mon père sort ma valise, ma mère me donne mon passeport et une hôtesse blonde vêtue d'une petite robe bleus'approche de nous :
  -Monsieuret madame Wood ?
  Mon père pose la grosse valise grise par terre, relève la tête et lui serre la main en répondant :
  -Oui, bonjour ! Voici Amanda.
  Perplexe, j'imite mon père en lui serrant la main à mon tour. Ma mère me prend dans ses bras avant de déposer deux baisers sur mes joues. J'embrasse Kelan qui me repousse en rigolant, avant de dire au revoir à mon père. Ces adieux me semblent un peu précipités et mon coeur se serre. Je me tourne face à mes parents et les remercie, avant que la jeune hôtesse m'accompagne jusqu'à l'intérieur de l'aéroport.
  Je regarde une dernière fois derrière moi. J'ai peur.

  Je me réveille au bout d'une heure de vol. Je suis toujours dans l'avion, j'ai les mains moites, et un vieux monsieur à ma droite dort profondément. Un fil de bave lui tombe de la bouche et va s'étaler avec panache sur sa chemise jaune canari. Mon visage se crispe en une petite grimace spontanée, et je tourne la tête vers le hublot : il fait nuit.
  Je regarde les étoiles et mon coeur rate un battement. Je repense à mes parents, et au fait que je me trouve ici, en ce moment même. Bien sûr que je veux leur montrer que je peux me débrouiller sans eux, mais en suis-je seulement capable ?
  Les mèches blondes qui dépassent du siège juste devant moi me font soudain penser à un visage familier : j'ai oublié de prévenir Lila. Avec une spontanéité instictive, mon regard glisse jusqu'au cache du siège de devant. Je regarde frénétiquement à l'intérieur où je trouve en fouillant une carte postale qui a sûrement été oubliée. C'est un petit chat avec une bulle où est inscrit en anglais « I Miss You ». La kitshitude de cette carte me fait rire, et par chance rien n'est écrit au dos. Je m'empare donc d'un stylo dans mon bagage à main, pour inscrire quelques phrases sur le papier cartonné :

Clair de LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant