1. Conscience

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« La liberté : Etre sans frontière. Courir à ne plus pouvoir respirer. Sentir le vent dans ses cheveux et le froid fouetter le visage. Ce mot n'a plus de sens pour eux depuis bien longtemps.
Emprisonner : Tel des bêtes. Le quotidien de cette race survivante après le cataclysme qui survint juste après leur énième erreur.
Enfin ils comprennent que les actes ont eu des conséquences sans retour. Maintenant ils savent que la marche arrière est impossible. Ils vivent à présent entre des murs stériles et dénués de beautés. Ainsi est le cadeau des ancêtres. Chacun fait avec, subissez la colère de la Terre jusqu'à la naissance de votre sauveur. »

Depuis toute petite, Sara a toujours connu cette mise en garde saupoudré d'une prophétie bancale. Après tout, le seul sauveur qui avait pu naître était mort plus tôt que prévu il y a de cela six décennies. Dans un râle, elle referme le livre et le pousse un peu plus loin sur la table. Jamais depuis des centaines d'années ce sauveur n'a montré le bout de son nez. Sans doute qu'il n'existe pas en fait. Peut-être que c'est simplement pour donner confiance à la population qu'on a sorti cette histoire. Après tout, à force de rappeler la même petite fable ça a terminé par devenir une religion à part entière. Remplaçant bien vite celles des aïeuls vus comme païennes. Malgré ses récents vingt-deux ans, elle sait très bien que son existence va s'arrêter dans moins de trente ans. Vivre plus longtemps est une utopie. À quoi est-ce que ça peut bien servir de vivre confiné comme eux ? Dans cette vaste ville aux murs plus hauts que leur Tour Eiffel et surplombé d'un dôme comme le Grand Palais.

- On vit dans une énorme boule à neige... pense-t-elle tout haut.

- Sauf qu'on ne connait pas la neige. lâche la seule personne à ses côtés.

Elle amorce un sourire à ce propos. C'est vrai tout est artificiel maintenant. De la pluie à la brume en passant par le vent. Bien avant sa génération, ses parents et ses grands-parents n'avaient jamais pu voir autre chose que ce ciel jaunit et cette protection de verre. La seule chose véritable reste l'herbe et les arbres autours d'eux. Présents dans le Square de l'île de la Cité, les deux amis vaguent à leur occupation d'étudiants sans que l'un ne dise vraiment le fond de sa pensée.

- Sara. Reprends ta lecture n'oublies pas qu'on doit terminer pour la soutenance du mois prochain.

- Will... J'en peux plus de lire et relire ce bouquin. On nous le fait manger à toutes les sauces depuis la maternelle !

- Je sais. Mais c'est notre peine jusqu'à ce que la prophétie se réalise.

- Et si... commence-t-elle.

- Tais-toi. Je ne veux pas entendre une phrase impie sortir de ta bouche en ce moment. Lis et ne réfléchis pas.

Ne pas réfléchir. C'est bien le seul problème qui l'a toujours dérangé. Pourquoi ne pas dire ce qu'on pense ? C'est tout simplement interdit ! Tout le monde se raccroche à cette mascarade comme à une bouée. Elle se voit comme sur le Radeau de la Méduse. Errer sans fin sur les eaux et se laisser mourir sagement.

- Je sais que Farell est le bon. reprend subitement Will.

À l'entente de ce prénom, Sara frémit sans le cacher et sa tête se penche légèrement en avant comme si ses mots allaient devenir les pires maux du monde. Pourtant, Will se penche aussi. Il connait assez son amie pour savoir que son esprit ne peut-être embrigadé dans une même idée commune.

- Ce n'est qu'un mec imbu de sa personne. Juste parce que le Haut Divin a cru lire entre deux tranches de boyaux qu'il est le sauveur, voilà que Monsieur se fait plaisir avec le surnom stupide de « Lumière Divine ».

- Non. Il sait rebaptiser Declan Hael Farell.

- Ah oui, mes plus plates excuses à Monsieur plein de bonté, généreux et héroïque...

NarcisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant