Des pensées encombrantes

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Catharina a levé la tête. Ses cheveux bruns passent brièvement devant ses yeux, qui clignent devant la grande lumière de la salle de classe. Ses phalanges sont douloureuses à force de soutenir sa tête, ses joues sont chaudes. Elle jette un coup d'œil autour d'elle, les autres élèves sont penchés sur leur cahier, à recopier docilement la leçon d'histoire. La voix calme de M. Teral, qui contait les révolutions russes et le gouvernement de Lénine, a bien failli la perdre. Souvent, en cours d'histoire, Catharina se laisse à rêver et imaginer, visualisant ses personnages et les lieux, en suspension devant le bureau du prof.  Elle adore l'histoire, et garde toujours une oreille attentive à la leçon. Grâce à sa mémoire auditive, elle mémorise aisément les faits, les lieux et les personnages qui ont traversé le temps, pour parvenir jusqu'à elle en ce jour. Mais parfois, ses rêveries l'entraînent, et elle n'entend plus le reste autour d'elle. C'est comme si elle dormait les yeux ouverts, et dès qu'elle se réveille, elle se rend compte qu'elle ne sait pas ce qu'il s'est passé juste avant. Là, elle a bien failli partir.

Machinalement, Catharina se secoue intérieurement, attrape son stylo-plume bleu nuit, parsemé d'étoiles argentées, cadeau de sa cousine Lia, et commence à écrire la leçon. Elle se force à rester attentive, malgré son mal de tête. La fin du cours se manifeste rapidement, par une sonnerie composée d'une série de notes conjointes inidentifiables. Catharina est maintenant parfaitement éveillée, elle range ses affaires et rejoint Alix et Alicia, pour sortir dans la cour. En chemin elle croise Mathias. Bien qu'elle lui sourit, le jeune homme hocha très légèrement et sèchement la tête. Catharina serre les dents et grogne intérieurement. Il lui avait juré son amitié, et pourtant il la calcule à peine. Elle repense avec nostalgie à leurs conversations, tellement en harmonie. A son teint pâle et ses cheveux noirs et raides. Certes, elle l'a elle-même, à un moment il y a deux ans, délaissé sans réelle raison. Mais elle l'a tellement regretté, lui a accordé ses regards et ses sourires, ses rires et ses yeux brillants. Elle croyait s'être rattrapée, leur amitié sauvée. Mais finalement, non. Pas du tout, même. Elle ne sait plus si elle doit se fâcher ou continuer à le chercher. Ses souvenirs voilent ses yeux, sa nostalgie, sa rancœur et ses larmes menacent de déborder. Mais elle ne peut pas pleurer, là, au milieu du couloir. Alors, froidement, elle renifle et ravale ses larmes brûlantes. Elle se remémore son ignorance, la chanson qu'il a faite à l'autre, les mots qu'il a dit, ses minables hochements de tête, et la fraîcheur de la colère l'envahit. Une gangue de glace enserre ses souvenirs heureux, et elle balaie Mathias de ses pensées.

Catharina se re-concentre sur sa conversation avec ses amies, et rit honnêtement à une mauvaise blague. Alicia rit très fort en passant devant un prof, et celui-ci  la regarde d'un air interloqué. Cela fait redoubler le fou rire des jeunes filles. Catharina, en se calmant, sourit. Ces précieux fragments de quotidien, de sa vie heureuse, elle sait qu'ils seront ce qui la sauvera dans peu de temps. En effet, elle a remarqué. Les symptômes, ceux qui sont signe de mois de colère, larmes ravalées et sentiments enfouis puis ressortis, à l'air libre le soir, flottant dans sa chambre, devant ses yeux. Si elle a pu si facilement imaginer, rêver, lors du cours d'histoire, c'est que des sentiments se sont installés dans sa tête. Ce sont ces sentiments qui lui permettront de dormir, qui tisseront ses rêves éveillés, ses illusions, qui l'habiteront à longueur de jour. Ses sourires se feront tristes, ses regards se tourneront sans cesse vers les mêmes personnes, elle ré-enclenchera sa playlist spéciale déprime, ses résultats scolaires chuteront légèrement et elle en sera désespérée, son regard vers elle-même se modifiera, comme pour toutes ces périodes où elle souffrait de ce même mal, sa colère l'envahira violemment n'importe quand, elle aura l'impression d'être abattue sous les soucis sans arriver à les résoudre... Cet état de malheur, elle l'a vécu pendant presque un an, et parfois de petits moments de joie s'intercalaient entre ses périodes d'auto-affliction. Un an, c'est long lorsqu'on est jeune. Elle a cru ne jamais pouvoir en finir. Et finalement, elle a eu six mois de doux répit, où elle s'aimait et aimait tendrement les autres. Mais visiblement, cette agréable période est terminée, soupire intérieurement Catharina.

La jeune fille chasse ses pensées douloureuses, les range près de l'odieux Mathias, et tente de profiter de ces éclats rires et de ces voix bien connues qui sonnent à ses oreilles. Afin de se réconforter, elle pense à son prochain week-end, le planifie vaguement et se réjouit de dormir et de lire, de bien travailler (se promet-elle sans vraiment y croire), de regarder des films vus une dizaine de fois chacun, rire aux mêmes blagues avec son frère, manger des pâtes, de la soupe et des côtes de porc.

Les trois jeunes filles sont à présent arrivées dans la petite cour de récréation du collège public C.D.G (officiellement, établissement d'éducation secondaire Charles de Gaulle), où vivent depuis une éternité trois grands arbres aux larges troncs tordus, aux branches ornées de feuilles vert pâle et jaunâtres, aux graviers faiblement éclairés par un timide soleil. Catharina a trop chaud. Elle colle ses doigts, toujours froids, contre ses joues et son front, et se sent tout de suite mieux. Ses pensées maussades s'effacent presque totalement, ses yeux s'assèchent et retrouvent leur éclat, leur appétit de rire et d'amitié, et son corps se dégourdit. Le trio pose ses sacs près d'une salle de classe, puis font quelques pas pour rejoindre un des vieux arbres, affectueusement rebaptisé Bob (ou Robert, au vu de son grand âge, mais afin de ne pas lui faire de peine, les jeunes filles l'appellent le plus souvent Bob). Oui, Catharina l'admet avec humour, elle et ses amies ont des habitudes étranges, comme nommer les éléments, les objets et parler aux molécules. Alicia raconte avec enthousiasme le mercredi après-midi passé avec son cousin Charles, et Alix réclame des détails, se moque un peu et enchaîne sur une anecdote de ses vacances. Catharina rajoute des éléments de ses propres vacances, interrompt régulièrement son amie. Des cris et des rires retentissent du petit coin ombragé. Deux centaines d'élèves, pareillement, discutent, se courent après, et rient. Cela ressemble plus à une cour de récréation d'école primaire mais, dans ce milieu privilégié et protégé de campagne française, tout le monde se sent comme un enfant.

La sonnerie retentit bientôt, et tous les élèves s'égaillent puis se rangent en rangs plus ou moins réguliers. Il y a environ trois classes d'une vingtaine d'élèves par niveau (6ème, 5ème, 4ème, 3ème). Le collège, très simplement construit,  est composé de quatre bâtiments minces, de deux étages chacun, reliés entre eux de manière à former un carré enserrant une petite cour. Deux bâtiments contiennent les salles de classes et le réfectoire, le troisième un grand internat, car le collège C.D.G est un des seuls du département, de nombreux élèves habitant bien loin, à parfois plus d'une heure de route, s'y instruisent. Ils sont donc forcés de vivre à l'internat. Et enfin, le quatrième bâtiment contient un gymnase pas trop mal garni, avec un mur d'escalade, quelques gradins, quatre vestiaires et des terrains de beaucoup de sports tracés au sol. De l'autre côté de la cour, collés contre le gymnase, se trouvent des pistes d'athlétisme, un terrain de football, de rugby et de tennis. Les élèves s'y entraînent parfois. Et autour, des habitations, quelques commerces, une église, et encore plus loin, un campagne de champs vallonnés, séparés par des chemins de terre et quelques maisons posées çà et là.

*En cours d'écriture*

Catharina, une vie dans sa têteWhere stories live. Discover now