L a z a r i n e : C h a p i t r e I

11 1 0
                                    

Lazarine soupire. Avachie sur un vieux fauteuil, comme à son habitude, elle peste contre ses parents. Cela fait plus de trois ans qu'elle réclame à cors et à cris un animal de compagnie, sans résultat. Cependant, pour ses douze ans, sa mère a fini par céder. Étant une fille de nature indécise, elle hésitait entre un chaton, un chien, ou encore un rat, et a laissé le choix à ses parents. Mauvaise idée.

Elle attendais ce cadeau avec beaucoup d'impatience, et c'est avec une grande déception qu'elle remarque un petit bocal rond posé sur son bureau, occupé par un couple de ridicules poissons rouges. Ou plus exactement, par un poisson rouge, et un poisson d'une couleur approximative, quelque part entre un gris goudron et un vieux jaune pisseux. Absolument hideux.

Les seuls poissons qu'elle aime, c'est les sushis. C'est vrai ça, les poissons c'est moche, c'est bête, c'est gluant. Et c'est son cadeau d'anniversaire. Voilà une raison de plus de se fâcher avec ses chers géniteurs. Elle l'ajoute soigneusement à la liste déjà très longue, dans laquelle figure son infâme prénom, Lazarine, qui lui a valu de très poétiques surnoms tel que Lasagnes, ou Urine. Merci Maman, vraiment.
Pendant un moment, elle se dit que son pied pourrait se retrouver dans l'aquarium par accident, et malencontreusement tuer les petites bestioles. Puis elle se ressaisit; ce n'est peut-être pas très gentil d'écraser ces pauvres poissons, aussi moches soient-ils. Elle cherche quelques instants dans son esprit tordu une utilité à cet affreux cadeau, quand lui vient une idée pour le moins débile: elle s'amuse alors à les embêter, en les sortant de l'eau puis en les laissant tomber à la surface comme de vulgaires cailloux. C'est très amusant. Étrangement, elle a l'impression qu'ils deviennent de plus en plus lourds, et de plus en plus gros, mais elle n'y prête pas attention pour l'instant. Quelle drôle de sensation pourtant. La croissance des deux bestiaux devient finalement impossible à ignorer, elle arrête alors son petit jeu cruel, et les regarde grandir, fascinée par la rapidité de leur soudaine expansion. Quelques minutes plus tard, ils mesurent près de quarante centimètres, et le rouge se hisse tant bien que mal hors du bocal, aidé par son camarade. Sur le coup, Lazarine ne trouve pas la situation bizarre, ni inhabituelle. Elle trouve même ça drôlement chouette! Finalement, ce n'est pas si mal que ça, les poissons. À vrai dire, c'est une fille plutôt idiote, le genre d'enfant que l'on qualifie scientifiquement de débile profond.

Le second poisson (celui moche) sort à son tour de l'eau, et les deux compagnons, debouts sur leurs nageoires caudales, déambulent nonchalamment dans le petit T3, explorant tous les moindres recoins, suivis de près par Lazarine, qui commence enfin à se demander si cela n'est pas un comportement un peu spécial pour des poissons rouges. Par ailleurs, ceux-ci n'ont pas cessé de croître, et font désormais plus de deux mètres vingt, soit le double de la taille de la gamine. Elle décide alors que des poissons capables de grandir à une telle vitesse, et de respirer dans l'air, sont certainement en capacité de comprendre le français. C'est pourquoi elle bredouille, un tant soi peu désorientée:

«Euuuuuh... bonsoir Messieurs les Poissons Rouges? Enfin, pas si rouges que ça...
-Blup blup blup, répond le premier poisson
-Gloup, renchérit le second
-Nan mais sérieux, jouez le jeu un peu, les poissons rouges magiques c'est censé parler toutes les langues, nan?
-BLUP BLUP BLUUUUUUP, s'égosille le poisson jaune, BLUBLUBLUUUUUUP»
Il semble offensé, et commence à remplir d'air, tout en se rapprochant de Lazarine. Celle-ci juge bon de s'enfuir, car un poisson de deux mètres qui s'énerve et qui gonfle, ça n'annonce rien de bon.
La jeune fille attrape son portable, son portefeuille et ses clefs, ainsi qu'un cabas Carrefour (pour sa défense, elle ne trouve pas son sac de cours, et ne découvrira jamais qu'elle l'a en réalité confondu avec les poubelles, quelques heures auparavant, et qu'il gît désormais dans la décharge publique). C'est donc en jogging et claquettes-chaussettes que Lazarine claque la porte, et dévale les escaliers à toute allure, pour se retrouver seule dans la rue en ce début de soirée, se demandant comment diable elle pourrait se sortir de cette situation délicate...

♡ P o i s s o n s  R o u g e s ♡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant