Chapitre 1

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<<Il suffit d'y croire >>

Je marche dans la rue, capuche sur la tête pour me protéger du froid de l'hiver. J'passe incognito, une bouteille de « 16 » à la main. J'essaie d'étouffer ma peine dans ce putain de poison. Dix heures du mat' et déjà habate.

En sortant de chez le baveux, ton image me revient. Pingouin, depuis ton enterrement, dix fois que tu viens dans mes putains de cauchemars. Wallah mon frère, j'ai mal quand je te vois, parce que... parce que t'es pas bien !  T'es serein, pourquoi bordel ? Pourquoi quand les autres ils parlent des rêves de leur morts, visage noirci par je-ne-sais-quoi mon frère ? Pourquoi tu me regardes avec tes heynesses comme si t'avais envie de chialer tout les larmes de ton corps ? Pourquoi mon frère ? Même la mort n'est pas du repti pour nous, hein mon frérot ? Wesh, mais j'ai jamais demandé à exister moi ! Ni la mort ni la vie comme soulagement ; c'est quand qu'on aura notre part de bonheur, hein mon frérot ?

Tu sais mes histoires avec le blef ne m'ont pas permis de venir à ton enterrement. Un coup de plus dans mon moral : ne pas être là lorsque de terre ton corps fut recouvert. Tourmenté par mon propre esprit, y a plus personne pout évacuer, plus personne pour m'entendre te pleurer. Au final, ta mort fait partie de ces choses qui ne se disent pas, de ces choses tellement hard que tu les vis seul en silence.

A l'aéroport, de loin, j'ai guetté ta famille. Mais je n'assumais pas, je ne pouvais pas les accompagner jusqu'à la porte d'embarquement sans monter avec eux dans l'avion. Je n'assumais pas le mutisme dans lequel ta sœur était tombée les cris des voisines, le revard faussement affecté des hypocrites, la peine de tous, ma propre douleur. Je n'assumais rien de ta mort. J'suis resté là, planqué dans un café de l'aéroport, à les regarder embarquer au loin. Un jour, j'y arriverai.

Tu sais, les frères du quartier m'esquivent gravement. Mes paroles empestent la mort, au sens premier du terme. Je n'ai pas d'autre sujet en tête. Mes mots, ce sont des putains de coup de shlasse dans leur moral wallah. Ils ne font plus le poids face à la lourdeur de mes larmes.

Mes potes s'est fait tuer il y a un mois de ça et les pleurs sont déjà passés ; les gens ont repris le cours normal de leur vie, comme si Pingouin n'avait jamais existé. Alors, c'était donc ça la vie ? T'es là, tu fait de ton mieux pour exister, puis un fils de chien vient t'abattre et en un mois, c'est comme si t'avais jamais vécu ?

Ils abandonnent tous au fur à mesure : mon père qui s'est tiré avec une plus jeune ; ma meuf, qui s'est tirée avec un friqué, un qui la comprenait mieux. Tout le contraire du pouilleux que j'étais : rien dans le cœur mais, surtout, rien dans les poches. Et puis maintenant c'est mon pote. Mon pote qui s'est fait buter comme un malheureux... Il me reste quoi à moi ?  Mon frère, je fais quoi moi ici, hein ?

J'continue quand même d'être là. Y a plus de lumière en moi, juste un putain de trou noir qui aspire tout sur son passage. Même la peine, jest finirai par plus la ressentir. Je serai comme ces morts-vivant que l'on a fréquentés toutes ces années. À l'époque, on était jeune et on avait encore de l'espoir. Et ouais, on se pensait qu'eux parce qu'on croyait fermement que notre route à nous, elle n'avait pas encore tourné. Mais ces bâtardes, ils nous avaient pas dit que la roue, on s'l'était fait chourave à la naissance.

Je me cale à un arrêt de bus près de chez le baveux, en direction du Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation -Le SPIP-, quand quelqu'un me sort de mes pensées.

-Exuse-moi, tu as fait tomber ça.
-Ah ouais ?

C'est une meuf tout sourire. Elle me tend un papier. Une convocation au tribunal que mon baveux m'a transmise pour des histoires de shit.

-Ouais, bah merci.
-Oh ! c'est pas grave. T'inquiète pas ça se passera bien, si dieu le veut.

Je la fixe droit dans les yeux. Qu'est-ce qu'elle a cette dingue à taper la causette shab c'est mon pote d'avanture ? C'est gentille wallah, ses paroles elles me vont droit au coeur. Ça fait longtemps que quelqu'un n'avait esseyé de me remonter le moral. Elle aurait pu piétiner les papiers et faire comme si elle n'avait rien vu tomber. Je vais faire un effort. Je hamoufle ma « 16 » derrière mon dos.

-Pas besoin de la cacher, ta boisson. Je sais que c'est une marque de respect, mais voilà si tu te caches pas de Dieu, si te plaît cache-toi pas de moi.

BAM ! dans la tête. Wesh elle veut quoi celle-là ? Elle est venu pour me faire la morale ?
Pauvre fille, tu connais quoi de ma vie pour venir avec tes jugements ? J'vais la remballer sec.

-Ouais vas-y, c'est bon qu'est-ce que j'en ai à foutre de toi. Je cachais rien du tout.
- Tant mieux alors. Au fait, moi c'est Aria, Et toi, c'est quoi ton prénom ?

Nan m, mais elle gratte l'amitié ! Mais qu'est-ce qu'elle me veut, sérieux ? J'suis un habteu, j'empeste les salles gardv sales et j'suis cramé du faciés jusqu'au cœur. Alors pourquoi elle vient me parler ?

-C'est Youssef, mais appelle-moi You s'te plaît.
-Ok, You. Et tu va où en cette heure si matinale ?

Elle s'adresse à moi d'un air enjoué, genre on a une mortelle conversation et elle est super heureuse de me parler. Quand elle saura qui je suis, elle va virer de la carafe et m'anandonner.. Comme tout le monde d'ailleurs. Mais elle a l'air sincère. Ce serait un signe ?, Un signe du Très Haut pour me dire que la vie n'est pas tant une hachek que ça ?

-Ouh ouh, You ! Peut-être je te dérange. À la prochaine alors.
-Nan nan tranquille, je fesais rien de particulier. Et toi ?

Nous prenons le bus ensemble. Il y a quelques minutes,   je buvais comme un trou pour essayer de combler un vide permanent et là, je me retrouve à faire la conversation avec une meuf qui ne m'a pas l'air conne du tout. Enfin, faire la conversation... Non, plutôt l'écouter parler. Car je n'ose pas trop ouvrir ma bouche, vu l'odeur qui s'en dégage : celle de l'alcool, mais surtout du ter-ter'... Je ne veux pas qu'elle voie  à travers mes mots que je suis qu'un pauvre mec de cité qui passe ses jours à attendre que... Attendre quoi ? Wallah, même moi je en sais pas. Elle ? Elle vit putain ! Elle vit et elle a l'air heureuse. Wallah c'est fou, j'ai toujours eu l'impression que les gens heureux m'esquivent. Mais pas elle ; elle est venu vers moi et c'est elle qui tape l'amitié.

-Bon je m'arrête là, j'dois faire des cours pour chez moi. On se recroisera peut-être dans le bus.

J'hésite a lui demander son numéro. Je suis pas comme sa d'habitude : mais si je laisse passe ma chance, j'en aurai peut-être plus.

-T'as pas un num' pour faciliter notre nouveau croisement ?

Je bégaie un peu pour sortir cette phrase. Elle me sourit et me dicte son numéro. Elle s'en va et me laisse seul avec mes pensées . J'étais plus bas que terre et en une rencontre, je reprends le plaisir à parler. Aujourd'hui encore je sombrais, et j'ai l'impression  d'avoir trouvé une bouée de sauvetage dans l'océan de mes putains de malaises. Je m'emballe gravement. Mais sa fait tellement du bien d'avoir de l'espoir.

Je lui envoie un message en arrivant au SPIP : Cé You. J'vais pas non plus abuser : je lui demandé son num', j'vais pas parler genre j'suis son pote d'enfance !

Elle me répond quelque s secondes plus tard alors que je fais mon pointage : "Hey You, heureuse que tu m'aies envoyé ton num', heureuse de t'avoir conne aussi, heureuse tout court."

Elle me drague, wallah je crois qu'elle me drague. Mais ce n'est pas la drague des michtonneuses. Nan, ça c'est la drague meufs bien... C'est propre et j'ai limite envie de faire le mec J'm'en rends pas compte. J'suis un môme. Putain, ça doit faire mille ans que j'me suis pas pris la tête pour pour des broutilles pareilles et ça fait sacrément du bien.

C'est vrai que ce dernière mois, ma vie se résumer à ruminier dans mon coin mon putain de malheur et à mes allers-retours pour mes problèmes judiciaires. J'avais l'impression de ne voir mon quotidien qu'en noir et blanc. Il n'y avait plus de couleur, plus de lumière, plus de gaieté. Wahou ! Le mot "Gaieté", limite il s'étais fit buter du crew' de mon vocabulaire : trop de temps que je ne l'avais pas dit, ni même pensé.

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⏰ Last updated: Feb 06, 2018 ⏰

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Dans la peau d'un thugWhere stories live. Discover now