Chapitre 1

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Chambre 304. Hôpital Pierre Oudot

-Un truc a débarqué, y a eu un bruit sourd, des cris et la voiture à fait un tonneau, c'est tout ce dont je me souviens

L'homme tapotait distraitement sur son clavier d'ordinateur. Son collègue aurait pu parier qu'il n'était pas en train de noter les informations que le jeune patient lui transmettait. Les enquêtes de ce genre n'était pas très palpitantes et plutôt habituelles.

-Qui conduisait ?

-Julian.

Sa voix tremblait. C'était ridicule. L'officier soupira.

-Il avait bu ?

-Je ne crois pas, il avait l'air bien avant de monter dans la voiture.

-Vous ne devez jamais monter dans une voiture si vous n'êtes pas sûr et certain de l'état du conducteur jeune homme. Ce reproche sonnait avec une ironie cinglante et lassitude

-Bordel je me retrouve à l'hôpital, branché à un milliard de tuyaux, je crois que j'ai compris la leçon !

-Bien. Nous repasserons dans quelques jours, tâchez de vous reposer maintenant.

Le bip-bip incessant de l'électro cardiogramme agaçait sérieusement les trois hommes présents dans la pièce.

-Et la personne que nous avons percutée ? Questionna alors le patient, couché dans un lit neutre dénué de personnalité, face à une fenêtre floutée par une pluie torrentielle.

Les deux collègues échangèrent un regard entendu et le plus âgé d'entre eux répondit :

-Je ne suis pas en droit de vous donner des informations sur son cas. Désolé.

Le commissaire Johansson fit un signe de tête dans le vide avant de quitter la chambre qu'Anatole occupait depuis plusieurs jours déjà. Il n'était pas sûr de pouvoir dire exactement combien mais peu importait. Il était là ; et Il s'en était fallu de peu. Comme on dit ; la vie ne tient qu'à un fil et la sienne s'était joué en un quart de seconde. Une ombre, un cri ; et aujourd'hui des nuits hantées par des cauchemars incessants. Julian, le SAM de la soirée, avait assuré être capable de prendre le volant. Anatole ne lui en voulait pas ; en réalité il se sentait plus coupable que son ami. S'il avait su... La route était mouillée, on était mi-octobre et il pleuvait beaucoup. Une silhouette a traversé la route. Les jeunes ne l'ont vu qu'au dernier moment et la voiture l'a percutée avant de faire un écart dans le fossé et de se retourner. Après c'était le blanc complet. Il avait beau réfléchir, rien ne lui revenait. Les médecins avaient tendance à dire que c'était quelque chose de normal qui reviendrai avec le temps. Ça n'était pas forcément handicapant. Il s'était réveillé à l'hôpital et n'avait eu droit qu'à la visite de ses parents ; une fois par semaine. Son père lui portait des pacs d'eau minérale et lui lavait son pyjama. Un vieux t-shirt orange condamné sur un bas de survêtement. Aucune nouvelle de ses amis ne lui avait été transmises. C'était le néant le plus total. Il espérait vivre dans un cauchemar duquel il se réveillerait bientôt. D'après les infirmiers son état ne présentait rien d'inquiétant et il avait eu beaucoup de chances : Il s'en sortait avec une double fracture du tibia et une luxation de la hanche qui entrainait une immobilisation complète et une hospitalisation de quelques semaines, mais rien de plus. Une chance ? Il fallait voir la vie avec des yeux d'adultes pour ça, il n'était pas du genre « mature » et n'avait pas une quelconque envie d'évoluer sur le sujet. Il était là ; hospitalisé après qu'un pauvre petit con ai traversé la route sans faire attention, et personne ne se souciait réellement de son absence. Son sarcasme naturel et son asociabilité lui retombait dessus. S'il avait su. Les jeunes étaient lourds. Les vieux étaient critiques. Les enfants étaient les seuls êtres sans réels vices. Il n'était pas du genre populaire mais ça lui convenait parfaitement. Aujourd'hui, en plus d'avoir été interrogé par la Police, Anatole allait changer de décors pour aller en chambre collective. Il en avait beaucoup parlé avec la psychiatre du centre. Il était sûr de vouloir troquer sa tranquillité reposante ? Il y aurait deux lits, séparés par un simple rideau qui, généralement, était toujours ouvert -plus simple pour les repas-. Depuis son arrivé, il passait son temps à regarder des clips à la télé, et ses seules conversations se faisaient avec les infirmiers ou les médecins qui semblaient prendre un vicieux plaisir à le voir souffrir le martyr. Il avait des mots en trop. Des choses à dire et des mondes à changer. Seulement, ce n'était pas enfermé qu'il pourrait s'en sortir. Grand joueur de piano, la musique lui manquait alors il écrivait des vers à la vie et des chansons aux étoiles. Il a toujours été persuadé que chaque cœur possédait son astre, qu'il représentait sa force et son courage. La sienne brillait de toute son âme et il en était fier. Pourtant, on avait tenté de lui faire dire le contraire. Garçon bizarre de son lycée. Le p'tit gars pépite des profs de langue ; celui qui connaît sans même apprendre. Celui aux multiples mondes qui se rencontrent au sommet de leurs Everest avec des frontières transparente pour laisser passer la lumière. Il voulait partager. Autrefois ; il s'était créé un compte Instagram pour y poster ses textes et ses interprétations musicales. Il avait des rencontres plutôt sympas et avait pris confiance en ses mots. Il était quelqu'un à travers l'écran. Malheureusement l'ado courageux qui postait des vidéos de lui en train de chanter n'existait que virtuellement. Il avait été contraint de le fermer lorsque le groupe « cool » de son lycée l'avait découvert et avait pris un malin plaisir à en faire de multiples parodies. Oui, il en était sûr. Il voulait foutre en l'air ce silence malsain qui trottait dans la pièce.

La pluie faisait fumer le sol, particulièrement chaud pour un soir d'hiver. Mady, l'infirmière qui lui rendait visite tout au long de la journée afin de changer ses perfusions, s'assurer que tout va bien et écouter ses histoires farfelues de bonheur caché à l'autre bout du monde arriva aux alentours 13h. Elle poussait un brancard, le sourire aux lèvres. Son bolide roulant avait un matelas bleu et des poignées sur les côtés.

-On y va ? 

Anatole n'était pas sorti de son lit depuis presque une semaine et il appréhendait le fait de bouger ne serait-ce que de quelques centimètres. On lui avait dit que la verticalisation qu'il subirait au cours des séances de kinésithérapie serait périlleuse. Il maudit en son for intérieur le sacré connard qui n'avait pas prêté attention au passage piéton. Sa psychologue lui disait de calmer ses pulsions de rage ; elle soutenait que c'était normal et qu'il allait apprendre à les contrôler. Plus elle affirmait ce genre de choses, plus il avait envie de lui montrer à quel point sa colère pouvait être puissante. Ce n'était pas elle qui se retrouvait lacée à un brancard, suffisamment serré pour ne pas tomber, avec pour seul moteur l'espoir de marcher à nouveau. Pourtant ; elle semblait tout à fait persuadée de sa capacité à comprendre tout le monde. Elle était brune ; des cheveux courts jusqu'au-dessus des oreilles et des traits toujours relâchés. Il ne l'aimait pas. Ça ne venait pas d'elle mais plutôt de son métier. Ce genre de personnes qui se font de l'argent sur les blessures intérieur des gens le mettait en rogne.

-Bah... Fait pas cette tête-là, tu vas voir elle est sympa ! Mady avait un accent du sud qui réchauffait les cœurs. Le genre qu'on entend sur le marché de Perpignan au milieu des cigales.

-Elle ?

-Alyzée. Elle est timide mais ça lui passera. Elle t'apprendra beaucoup de choses je pense.

Cela n'enchantait pas le jeune garçon ; plutôt guerrier, enfermé par les barrières qu'il se mettait trop souvent et couvert de petits fragments de lui-même qu'il laissait entrevoir, il commençait à regretter son insistance pour changer de chambre. Et si elle ne l'intéressait pas ? Et si, au contraire, elle l'empêchait de dormir de par ses idéaux absolument tordus et qu'elle lui faisait se poser tant de questions qu'il en perdrait l'appétit ? Et si elle tentait de le convertir au véganisme ou qu'elle le violait pendant la nuit ? Qui serait là pour le sauver des griffes de cette sorcière ? Tout un tas d'idées sordides lui emplirent l'esprit. Il devait faire une tête relativement étrange parce que les infirmiers le dévisageaient avec une mine rieuse qui le fit sourire. Il ne les connaissait pas tous. Il y avait évidemment Mady, mais aussi deux ou trois autres infirmiers dont il avait parfois vu les visages crispés à travers les vitres teintées du couloir. Il reçut des informations plus ou moins importantes de la part de chacun des professionnels présents, le plus jeune d'entre eux semblait gêné et bredouillait des mots à une vitesse insolente. Il devait être en internat. Bichette pensa Anatole. Encore un couillon qui ne voulait pas décevoir papa mais qui se retrouve dans un bled perdu à transporter des gosses d'une chambre à l'autre. T'as pas réussi mon p'tit. Ce n'est pas ça réussir. 

Et si tu m'attendais?Where stories live. Discover now