Chapitre 1 : Le déménagement

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Devant moi, le paysage défile. La forêt, les champs, les plaines, les montagnes, la ville. Dans ma tête aussi tout défile : d'une part les souvenirs, d'autre part les visages des personnes que je ne reverrai peut-être jamais. Toutes ces amitiés créées pour rien, toutes ces rencontres au final inutiles, tous ces efforts qui n' auront pas aboutis. C'est injuste, égoïste. On ne m'a pas laissé le choix, j'ai l'impression d'avoir été enlevé sauf que là, ce sont mes parents qui conduisent la voiture. A côté de moi, mon petit frère Alexis pense que ce qui lui arrive est extraordinaire, qu'il part à la conquête d'un nouveau monde oùil découvrira mille choses toutes plus merveilleuses les unes que les autres. C'est navrant de voir à quel point on est naïf à cinq ans, l'âge auquel on découvre la vie. En même temps mes parents n'allaient pas lui expliquer la vérité, ce serait tellement facile, c est vrai : pourquoi ce simplifier la vie quand on peut la compliquer ? Il sera déçu c'est certain, mais nous aura au moins fichu la paix pendant le trajet, trop occupé à rêver.
Les forêts et les champs passés, j'aperçois peu à peu la ville dans laquelle nous allons nous installer. Pour l'instant je ne constate pas un grand changement, une ville reste une villes mais Annecy me manquera. Car très peu de villes peuvent se vanter d'avoir un paysage aussi riche et varié. Entre le lac, les montagnes et les plaines il y a de quoi s'amuser et s'occuper jusqu'à la fin de ses jours. Avec le climat tempéré, tout y est possible : le ski, le kayak, le vélo, la marche à pied, le parapente, la moto, la planche à voile... la vie parfaite quoi.
Malheureusement pour moi, mon père Marc est architecte et a été muté à Brest, autant dire à l'autre bout de la France - ce qui représentepour moi l'autre bout du monde - et ma mère Stéphanie n'a rien trouvé de mieux à faire que de le soutenir un maximum afin de pouvoir gâcher la fin de ma jeunesse. C'est vrai, à seize ans on a d'autres choses plus importantes à faire que de changer de vie. Mes amis m'ont dit que ce serait l'occasion de repartir de zéro, que je pourai devenir qui je voudrai dans mon nouveau lycée. Mais je n'ai pas envie de jouer la comédie, je serai ce que je suis, au naturelle c'est a dire Summer la gentille fille altruiste, sensible, qui a des bonnes notes et qui obéit sagement à ses parents. Je ne pourrai jamais faire semblant car mon malaise ressortirai immédiatement et je serai ridicule. Même quand je suis naturelle il m'arrive parfois de ne pas savoir quoi faire ou quoi répondre face aux gens.
Les seules moments où je ne me pose pas de questions, c'est lorsque je fais un relai. C'est ma passion : le sprint, l'air qui caresse les chevilles en ébullition, les cheveux au vent, et lors des compétitions, les cris embrasés de mes amis qui me poussent à aller décrocher la victoire. Quand je passe le témoin - c'est le nom du baton que les coureurs se passent - à une personne de mon équipe, c'est pour moi comme si je me debarassai de tous mes problèmes. Alors je cours aussi vite que mes jambe me le permettent, aussi vite que mes bras m'emmènent. Souvent mon corp est bien présent sur la piste, mais tout mon être est parti loin de ce chaos.

- « Regardez les enfants ! s'exclama mon père en me coupant de mes rêveries. Voici notre nouvelle mairie, là ce sont les petits commerces et au fond il me semble deviner la place avec sa fontaine. Qu'est ce que c'est coloré ! Il doit y avoir un monde fou le dimanche, j'ai hâte de venir m'y promener, pas vous ?

Il doit faire exprès, pour atténuer notre déception car ce que je découvre n'a rien de coloré : la mairie est tellement minuscule qu'on pourrait croire qu'il s'agit des toilettes publics, les petits commerces comme dit mon père ont l'air abandonnés et fermés et la « place » ressemble à un parking délaissé qui aurait été aménagé en une grande rue piétonne, la fontaine quand à elle, n'a pas dû déverser d'eau depuis au moins vingt ans car on peut deviner la moisissure noirâtre qui a pris de dessus sur les robinets aux gravures de monstres. Et ma mère ne trouva rien d'autre à faire que d'en rajouter :

-Mais oui ! Quel agréable petit village, et là bas ce doit être l'école primaire, regarde Alexis. Quand je pense à tous les petits copains que tu vas te faire, tu en as de la chance. Tiens, demain samedi c'est jours de marché, je suis curieuse de voir ce que les marchands vendent ici. J'imagine déjà les charmantes petites étoffes que je vais y découvrir.

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