1 mars 2099

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Nul part


Gaïa 🌴

Je soulève avec peine mes lourdes paupières ; elles papillonnent de multiples fois avant que mes yeux s'accommodent à cette lumière crue. Une douce odeur d'herbe fraîche embaume vigoureusement mes narines alors que je me redresse pour découvrir ce qui m'entoure. L'atmosphère est si moite qu'elle colle à la peau, une sensation encore jamais connue.

Je suis cernée par un paysage d'une beauté incroyable, presque irréel. Des arbres touffus se lèvent à des mètres de haut pour aller chatouiller le ciel d'un bleu lui aussi illusoire. L'odeur prenante de bois humide, de feuille, et de poussière s'imprègne dans chaque pore de ma peau. Cette jungle onirique m'enivre si puissamment que j'en oublie presque la question que je me suis posée en sortant de cet état d'engourdissement ; que fais-je ici ?

Mon esprit ankylosé ne parvient à reconstituer le puzzle, c'est comme si j'étais incapable de réfléchir... Que ma tête était vide. Je me souviens d'une seule chose. Mon prénom est Gaïa. Je m'appelle Gaïa et je ne sais pas d'où je viens, quel est mon nom de famille, ni mon âge exact.
Je suis Gaïa à la tête vide.

Je sors tant bien que mal de mon état de transe lorsque des fourmillements s'installent dans mes jambes. Je me hisse sur mes deux pieds, aussi engourdie qu'après une longue sieste. Chancelante, je saisis le sac à dos qui était posé près de moi et entreprends de l'explorer. Il est garni d'une gourde métallique réverbérant les puissant rayons de soleil s'étant immiscés parmi les feuilles, d'un K-Way, d'un couteau bien aiguisé, d'un allume feu et enfin, d'une boite de converse toute rouillée. 
Très bien, alors je suis ici pour survivre et non pour mourir. Ces ustensiles sont là pour me garder un minimum de temps en vie, mais pourquoi ? Et pour qui ?

L'air est suffocant et à la fois glaçant, cette humidité permanente est aussi tenace qu'un brouillard épais... À la seule différence qu'elle est imperceptible. Je m'avance à l'aveuglette parmi les énormes baobabs qui semblent se courber pour me tracer un chemin. Mes cinq sens sont en éveil, mes yeux sont attirés par chaque détail de cette forêt féerique et mes oreilles appelées par des chants d'oiseaux invisibles, ainsi que les craquements sourds de petits animaux.

Je m'enfonce alors dans la boue qui absorbe mes jambes jusqu'au tibia. Au milieu de cette jungle luxuriante mais hostile, presque agressive entre les branches qui me cinglent bras et visage et les moustiques qui m'harcèlent, je dessine un chemin borgne.

Après deux bonnes heures d'ascension, l'épuisement me saisit et me force à m'appuyer contre un arbre afin de reprendre mon souffle. Une forme bleue faite au pochoir sur le tronc attire mon attention, je me recule de quelques pas et y distingue un grand « N ».
Je ne sais pas ce qu'il signifie mais il semble représenter une balise, peut-être que tout ceci n'est qu'une épreuve ?
Je décide alors de suivre les marques de peinture qui reviennent régulièrement, me permettant de tracer un chemin précis. Je m'arrête quelques fois pour cueillir une noix de coco et l'ouvrir tant bien que mal afin d'y savourer son eau revitalisante.

C'est étonnant mais je ne réfléchis pas, je suis concentrée sur mon parcours et sur rien d'autre... À vrai dire, aucun souvenir ne me revient... Ni le visage de mes parents, ni celui de mes amis. Je ne parviens pas à penser, ma mémoire se construit au fil de ma randonnée.
Mais plusieurs questions persistent, qui m'a fait ça ? Où suis-je ? Et pour quoi ? Suis-je seule ?

Je n'ai pas la notion de l'heure mais je dirais que nous approchons du crépuscule puisque le soleil semble se coucher vers l'ouest, d'après la boussole également laissée dans le sac. Je ne pourrai malheureusement continuer mon trajet de nuit et suis alors contrainte de trouver un endroit où me reposer.
La jungle dense ne laisse pas beaucoup d'espaces planes, j'opte alors pour le premier petit terrain partiellement débroussaillé que je recouvre de feuilles de palmier pour le rendre un peu plus douillet.
L'air s'est légèrement radouci et l'humidité s'est détachée de ma peau. Je me recroqueville dans mon K-Way et remonte la capuche, voulant couper court à tout bruit suspect. Je ferme les yeux et tente de me reposer un minimum mais en vain, l'ambiance de la jungle est invivable. Je suis morte de peur.

Le lever du soleil semble se faire après des jours, cette nuit épouvantable était interminable. Je me redresse et retire ma capuche, un épais brouillard s'est désormais installé et je ne distingue même plus mes pieds. L'ambiance devient encore plus angoissante.
Après avoir jeté le sac sur mon dos, je me lève et entreprends de retrouver la marque bleue. Dans cette brume opaque, rien n'est facile. Je me cogne à de nombreux arbres sans retrouver celui que je cherche désespérément.
J'essaie de me reconstruire le paysage d'hier mais tout semble monté à l'envers dans ma tête puisque quand je pense que la voie est libre, un baobab l'entrave. Ce casse-tête me rend dingue.
Je me laisse alors tomber contre un énorme tronc aux racines tortueuses apparentes et me contrains à attendre le lever de ce cruel brouillard. La fatigue et la faim me tiraillant, il me semble sombrer dans un sommeil fragile.

Lorsque j'ouvre les yeux à nouveau, la brume a disparu. Je ne reconnais pas mon environnement, j'ai dû me déplacer dans le mauvais sens lorsque j'étais aveuglée par le brouillard. Je saisis ma boussole, je me souviens que j'avançais vers le sud. J'entreprends alors de faire quelques pas dans cette direction, avec un peu de chance, je recouvrerai la marque bleue.
Je crois reconnaître un petit ruisseau que j'avais traversé hier mais toujours aucune trace de balise. Mon cerveau tourne à plein régime mais je ne parviens pas à faire le lien avec le paysage connu la veille.

Comme dernier espoir, je décide de faire confiance à l'aiguille de ma boussole et de me diriger vers le sud. J'avance alors un long moment, peut-être plus de deux heures, retrouvant l'état d'aveuglement avec lequel je suis partie.
La faim acide semble me dévorer l'estomac, il faut absolument que je trouve quelque chose à me mettre sous la dent. Cette jungle rassemble de multiples sortes d'arbres, aussi différents les uns que les autres. J'en cherche un qui pourrait me nourrir.
Un fruit jaune orangé attire mon attention, je me penche et le saisis. Il semble très mûr et exhale une odeur sucrée. A l'aide de mon couteau, je l'entaille et en sors la chaire.
Je pensais tout d'abord à une mangue mais son goût me fait alors changer d'avis. Des souvenirs gustatifs me reviennent, je me rappelle avoir déjà goûté ce fruit.
C'est de la papaye.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 18, 2020 ⏰

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