PROLOGUE

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Elle bondissait dans la neige. Chacune de ses enjambées vives et affolées piétinait, écrasait, malmenait la poudreuse, haute de plus de quinze centimètres, tandis qu'elle courait, haletant comme un animal pris en chasse. Le froid lui mordait tous ses petits membres violacés et la vulgaire toge grisâtre qu'elle avait sur le dos n'arrêtait en rien ni les frissons d'effroi, ni ceux causés par la tempête glaciale. Sa gorge était sèche, sa poitrine brûlante, sa respiration rauque et sifflante. Elle dévalait la colline sans se retourner, courant comme jamais elle n'avait couru, les larmes se figeant sur ses joues.

"Ne t'arrête pas, Katja, ne t'arrête pas où elle te rattrapera !"

La panique s'était emparée d'elle. Qu'était-il arrivé à son frère ? Et aux autres enfants ? Elle n'osait même pas y penser.

"Au secours, quelqu'un ! À l'aide !"

Mais seul un désert de neige lisse s'étendait à perte de vue et derrière elle, la haute façade du manoir se dressait en pique contre le ciel d'un air menaçant. Son salut ne dépendait que de la distance qu'elle parviendrait à mettre entre elle et ce lieu maudit.

"Je ne dois pas m'arrêter... je ne dois pas m'arrêter... si elle m'attrape..."

Le souffle lui manquait et tous ses muscles s'engourdissaient. Jamais elle ne pourrait tenir. Sa tête s'était mise à lui tourner et sa vision se voilait. Elle allait tomber... ce n'était qu'une question de secondes...

— Ma petite, lança une voix dans son dos et Katja se retourna en lâchant un cri.

Elle était arrivée à la frontière de ses dernières forces : ses jambes la lâchèrent, figées par le gel, et elle chuta dans la neige.

Se redressant tant bien que mal sur ses bras tremblants, Katja leva un regard horrifié sur la silhouette qui lui faisait face. Une femme se tenait là, étrangement fine et droite comme un très haut bâton à forme humaine, ses bras aussi fins que des aiguilles pendant le long de ses hanches.

— Tu vas mourir de froid, dit-elle en la couvant de ses yeux noirs.

Mais ce regard que la femme voulait attendri n'avait d'attendrissant que la forme. Au-delà des prunelles arrondies, des abysses creux et violents dessinaient un sombre destin pour Katja. La jeune fille pouvait le sentir, elle pouvait même le voir.

— Ne vous approchez pas, laissez-moi tranquille ! couina Katja en ramenant ses jambes contre elle.

Elle reprit ses appuis, prête à détaler, sans toutefois quitter la femme des yeux. Mais son corps la trahissait déjà : tremblotant, chancelant, il menaçait de s'effondrer à nouveau à la moindre pression.

— Allons, rentre au chaud dans le château, lui dit la femme.

— Vous ne m'aurez pas !

Dans un effort titanesque, Katja se rétablit et parvint à reprendre la fuite. Elle n'entendit plus rien après son départ de reine du sprint, pas d'appels, ni de voix. Peut-être avait-on décidé de ne pas la poursuivre... de la laisser s'échapper... ?

Elle en était presque persuadée en voyant apparaître les premiers bosquets de la forêt. Elle allait pouvoir se cacher, se dissoudre à toute vue, lorsqu'une douleur vive et aiguë lui transperça la poitrine. Katja s'effondra à genoux dans la neige, secouée par des pleurs invisibles. Elle savait que maintenant se remettre debout serait impossible.

— Tu voudrais que je te laisse partir, ma petite ? reprit la femme qui l'avait rejoint en quelques secondes. Mais pourquoi ferais-je une chose pareille ?

Et Katja comprit que le noir de ses yeux allait l'avaler. Qu'elle ne s'en libérerait pas. Elle n'avait plus la force de lutter et déjà son essence semblait disparaître tandis que l'horrible femme refermait son étreinte sur elle.

Hunters High RuleWhere stories live. Discover now