Les yeux rougis à force de devoir déchiffrer les petits caractères des journaux à la lueur de la bougie depuis qu'on lui avait coupé le courant, la jeune fille soupira. Les difficultés la submergeaient de plus en plus. Etant donné que les contrats d'eau, d'électricité, d'assurance étaient au nom de sa grand-mère, elle ne pouvait légalement pas s'en acquitter et comme le compte bancaire de cette dernière était clos en attendant la succession, tout prélèvement se voyait refuser et les organismes arrêtaient par ce fait leur prestation. Pauline se retrouvait donc aujourd'hui avec en tout et pour tout qu'un toit sur la tête, mais pour combien de temps.
De plus, malgré tout son courage et sa bonne volonté, aucune des annonces auxquelles elle avait répondu n'avait donné de suite favorable. Son jeune âge semblait jouer en sa défaveur, les patrons ne faisaient pas confiance en une femme tout juste sortie de l'enfance et dont le regard triste n'inspirait que pitié. Elle n'était pas assez expérimentée pour assurer le service dans les restaurants, pas assez mature pour garder des enfants, ni assez avenante pour des postes d'hôtesse commerciale.
Elle ne cédait toutefois pas au désespoir et continuait à éplucher toutes les petites annonces qui se présentaient à elle. Proche de s'assoupir sur la table, elle tomba sur un texte qui lui parut tout bonnement miraculeux. En effet on recherchait une sorte de dame de compagnie/bonne à tout faire, s'acquittant de gérer le quotidien d'une personne "avec des difficultés physiques", elle devrait "faire le ménage, préparer les repas et autres petites taches..." mais le plus important à ces yeux était que la personne recrutée serait nourrie et logée afin de pouvoir être plus disponible. Sautant de joie, Pauline voulu contacter immédiatement le numéro inscrit après cette description, mais en attrapant le combiné elle se souvint que le téléphone était coupé depuis une semaine déjà. Voyant l'heure sur la pendule, elle comprit qu'il était beaucoup trop tard pour aller demander à sa voisine si elle pouvait la dépanner.
La mort dans l'âme elle décida d'aller se coucher en croisant les doigts pour que le lendemain l'annonce ne soit pas déjà pourvue. Elle passa donc une nuit des plus mouvementées et c'est les yeux cernés et le teint pale qu'elle se présenta le lendemain à la porte de l'appartement d'en face afin de passer l'appel qui allait changer sa vie l'espérait-elle.
Après de longues sonneries une voix ensommeillée et hargneuse lui répondit. Un peu surprise Pauline s'excusa poliment et expliqua qu'elle répondait à l'annonce, qu'elle était efficace, volontaire et disponible immédiatement. L'homme émit un ricanement sarcastique et lui donna rendez vous dans un café à l'autre bout de la ville une heure plus tard afin de "pouvoir juger des ses atouts" avait-il dit.
Sans réfléchir à la portée de ces paroles Pauline rentra chez elle précipitamment afin de se préparer pour cet entretien. Elle enfila une robe en coton fleurie lui arrivant aux genoux, attacha ses longs cheveux en une queue de cheval basse, passa un peu de gloss clair sur ses lèvres et pinça ses joues pour se donner bonne mine. Elle quitta ensuite l'appartement et se dirigea vers l'arrêt de bus le plus proche pour se rendre au lieu de rendez-vous. Celui-ci se situait dans un quartier qu'elle ne connaissait pas, plus elle s'en rapprochait plus elle s'éloignait de sa zone de confort. En descendant du bus après 30 minutes de transport, elle ne put s'empêcher de lever les yeux. En effet, elle se retrouvait entourée d'immeubles de bureau scintillants sous le soleil de ce début d'été. Quelques hommes en costume marchaient sur le trottoir en lui jetant des regards insistants. Mais Pauline était trop concentrée sur ce nouvel univers de verre et d'acier pour y prendre garde. Rapidement elle se reprit, vérifia son chemin sur un plan fixé à l'arrêt de bus.
Au bout de 10 minutes de marche dans le quartier, elle finit par repérer le bar où elle avait rendez-vous. Il n'avait rien à voir avec les petits bars qui peuplaient sa rue, la façade de celui-ci consistait en une immense surface vitrée opaque, elle ne pouvait donc pas voir ce qu'il se trouvait à l'intérieur. Elle s'approcha de la porte en acier poli, osant à peine y toucher de peur de laisser la marque de ses doigts, elle finit par la pousser doucement et à entrer.
Une ambiance feutrée l'accueillit, ses ballerines s'enfoncèrent dans un épais tapis anthracite, intimidée, elle releva les yeux et tomba sur un maître d'hôtel au regard trop sérieux. S'armant de tout son courage elle s'annonça et fut conduite, non vers l'échafaud comme elle en avait l'impression mais vers un homme d'une quarantaine d'années qui l'observait d'un regard perçant. Dès la première seconde en sa présence, elle se sentit mal à l'aise. Il continuait à la toiser de haut en bas sans prononcer la moindre parole, Pauline n'osait pas prendre place, elle commençait à trépigner. Au bout d'une très longue minute d'observation, il lui désigna le siège en face de lui.
- Mademoiselle Duprés, je présume?
- Tout à fait. Répondit-elle en baissant la tête. L'aura de perversion qui entourait cet homme l'invitait à la plus grande prudence, mais surtout l'effrayait énormément.
Continuant à prendre tout son temps, tirant plaisir à prendre l'ascendant sur la jeune femme, il reprit la parole sur un ton doucereux qui ne le rendait pas plus sympathique.
- Qu'est-ce qui vous a amené à postuler à cette annonce?
- Je viens de perdre ma grand-mère et je suis dans une situation financière des plus critiques, j'ai absolument besoin de trouver un emploi. Le travail ne me fait pas peur, je me sens tout à fait capable de gérer l'intendance d'une maison et de veiller au bien-être d'une personne. Je me suis beaucoup occupée de ma grand-mère pendant sa maladie, j'aime prendre soin des autres, je suis très dévouée.
Le regard de l'homme s'assombrit à l'écoute du discours de Pauline et sa respiration se saccada, mais cette dernière ne s'en rendit pas compte, elle voulait tellement faire bonne impression et obtenir ce poste inespéré qu'elle se coupait de tout.
Après quelques questions d'usage afin de rendre plus officiel l'entretien l'homme annonça :
- Vous me paraissez avoir les qualités requises pour ce poste, cependant, si vous êtes toujours intéressée, je dois vous prévenir qu'au contrat de travail sera joint des conditions de discrétion à respecter sous peine de poursuites judiciaires. (Pauline retint son souffle.) Mais je suis persuadé que vous saurez les respecter... dit-il sûr de son pouvoir sur elle à cet instant.
La jeune femme déglutit et hocha la tête positivement. Elle eut peur que cet emploi lui amène de nouveaux soucis, mais c'était sa dernière chance de s'en sortir, le matin même elle avait reçu une mise en demeure de quitter l'appartement sous huit jours. Elle inspira une longue goulée d'air, et répondit :
- Oui, j'en suis tout à fait capable, vous pouvez me faire entière confiance.
Elle ne se doutait pas qu'elle venait de sceller son destin.
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Petites mains...
RomanceIl était au sommet, son arrogance l'a fait dégringoler violement. Elle tentait de survivre dans les bas fonds avant d'être propulsée à ses côtés. Ils avaient besoin d'être sauvés, sauront ils trouver la force et le désir de relever l'autre? ...