Chapitre 1: Cette vie...

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      La vie, ça commence dans le noir. Dans un univers qui semble être magique mais au début, tout est noir. Vide. Sans aucun sens à première vue. Normalement, c'est avec le temps que ça prend du sens. Pas pour moi. Moi, j'ai toujours été triste. Toujours dans le noir. Ah non, j'ai eu quelques moments de répits. Au début. Mais là, c'est pas forcément la folie. Le froid, c'est surtout ce qu'on ressort de ces cages sombres et humides. Un sentiment d'effroi ensuite. Puis, quand c'est la 10ème fois dans la journée qu'on la vois, on s'habitue. C'est pas comme une vraie maison, c'est sûr, ça reste une cage, mais, on s'habitue. On sait d'où vont tomber les gouttes, d'où vient la lumière. Parce que on a rien d'autre à faire, on regarde partout. Les barreaux, les murs de pierre, la fente qui te sert de fenêtre. Les seuls bruits sont les gouttes qui font "plic ploc" sans arrêt et les bruits en haut. En haut. J'ai tellement pas envie d'y aller. Tellement pas. C'est à la lumière, certes, mais pour des raisons évidentes, j'ai pas envie d'y aller. J'ai pas envie d'aller en dehors de ma cellule. De voir tous ces gens. J'ai mal à la main. Je continue à passer le temps. Même pas de bouquin à lire alors je regarde ce qui m'entoure. Des chiottes. Enfin, une gouttière où je vide ma vessie. Pour la grosse comission, faut demander au gardien. Mais ça fait longtemps que je chie plus rien tellement j'ai peur et tellement que je bouffe rien. Un morceau de pain, c'est tout ce qu'on a. Après la pièce, comme y a plus rien à regarder, je me regarde. De vieux haillons. C'est tout. Ah non, j'ai failli oublier mon collier. Ce putain de collier qui me fait mal au cou. Ce collier qui me garde prisonnier. Qui me garde ici dans cette cellule. J'ai des centaines de cicatrices, les bras fins , ayant la peau sur les muscles. Un vieux pantalon rassis, pareil que le haut. Par contre, ça fait longtemps que je n'ai pas vu mon visage. J'ai beaucoup de cheveux, c'est sûr, une barbe bien fournie mais pas trop. Des cheveux longs, gras, emmêlés. Par contre, j'ai oublié la couleur de mes yeux. La peau pâle. Je me lève et regarde par la petite fenêtre, juste pour voir un peu de civilisation. J'arrive à aperçevoir la ville. Le même payasage que j'ai toujours vu. Un paysage qui moi, ne me voit pas. Une lumière dorée, des passants. Là, un enfant court pour rejoindre sa mère qui est partie devant. J'entend à peine leurs voix. Le bruit de la ville est camouflé par celui d'en haut... Le petit court et tombe. Je ris. C'est là la stupidité des hommes, rire du malheur des autres. On a rit de mon malheur alors j'ai pouffé en voyant ce petit tombé. Sa mère est venue le relever, comme d'habitude. Il s'y attendait. Il était presque tombé pour avoir le réconfort de sa mère. Celui que j'ai jamais eu. Enfin, si, mais, il y a longtemps de ça. Mais j'aime pas parler de mon passé de toute façon. L'enfant pleure, mais sa mère le réconforte et lui dit des mots doux pour stopper ses pleurs. Je ne les entendaient pas mais je savais qu'elle le réconfortait. Puis ils sont partis, l'enfant en pleurs. Puis, un couple, main dans la main, puis une vieille femme. Je ne pouvais voir qu'une seule personne à la fois avec cette toute petite fente. Je soupire. Cela doit être sympa de vivre dans la simplicité, de ne pas avoir peur de mourir chaque jour...

"Alors? On regrette l'air frais?!" Je regarde mon compagnon. Dans la cellule en face de moi. C'était mon seul ami. Dreran il s'appelait. Il était dans la même situation que moi, à regarder le vide de sa cellule et ses yeux s'étaient posés sur moi, qui rêvait à la vie extérieure. On se connaissaient depuis longtemps mais, on savaient pas grand chose sur l'autre. Faut pas s'attacher sinon on devient fou. C'était la première règle que m'avait dit mon compagnon. "Comme on risque tous notre mort (il avait dit), si tu t'attache, tu va chialer pour tout le monde et ça, c'est pas bon pour toi!" Il m'avait dit ça après que je lui ais demandé des choses sur sa vie. Du coup, je savais que quelques bricoles sur lui. Premièrement, c'était un voleur avant de se retrouver là. Connu même. Enfin, dans les quartiers pauvres de la ville. Deuxièmement, il avait une femme. Par contre elle s'est faite tuée par les autorités. Il me disait que c'était le destin qui l'avait envoyé ici. Que ses crimes avaient finis par payer. A cause de Destin, son dieu qui décidait du chemin des gens. Celui avec le dé en forme de balle. Il était donc croyant, comme beaucoup dans notre monde. Je regarde donc mon ami. Des cheveux bruns. Autour de son cou un collier, il me disait qu'il comptait beaucoup pour lui, c'est tout. Pas pourquoi, juste qu'il comptait pour lui. Lui aussi avait des cicatrices mais il n'avait pas de tissu pour couvrir son torse. Mais lui, il avait rarement froid. Il faisait partie des pays du Nord. Moi je venais plus du centre. Là, il m'avait dit qu'on étaient dans le nord. Une ville qu'on appelle Peyrepertuse. Ville de guerre, fortification et tout le bazar. C'est tout ce qu'il m'avait dit. Il avait aussi un oeil en moins, plutôt important à préciser. Il avait un cache-oeil, ça le rendait encore plus agressif. Même si, avant de venir ici, il n'était pas très musclé et était plus dans la finesse, aujourd'hui, il a de gros muscles imposants comme un soldat du nord. Lui, il avait pas de barbe, juste une moustache en pointe. Il me regardait avec un grand sourire. Il aimait bien rire et c'était souvent avec lui que je rigolais le plus. On jouaient aux cartes sans arrêt et on se racontaient des blagues. Mais sans s'attacher, comme deux hommes qui sympathisent juste pour une soirée en buvant des coups. Bon, nous, on jouaient juste aux cartes et on buvaient quelques gouttes d'eau. Mais on riaient tout autant. Je lui répond: "Ce serait bien de pouvoir sortir, tu pense pas? -Sortir? (ses yeux s'illuminèrent puis il rit à gorge déployée) Tu me feras toujours marrer M! Et puis quoi encore? Fonder une famille? Avoir des amis? Courir dans les champs de joie et d'argent? Sortir! Et comment d'abord? On est cloîtrés ici à jamais M! A jamais!" Sa voix résonna dans le couloir. Je sourit. Son rire était communicatif, c'est tout. Je ne riais pas de mon propre malheur. Je savais qu'on ne pourrait pas sortir même si on le voulait. On étaient là, c'est tout. Je ne voulais pas répondre. Je repartit à ma contemplation. La rue était devenue déserte. A mon grand désespoir, peu de gens passaient par cette rue. Il y a cependant des moments d'affluence lorsque ça s'agite en haut. Je m'assit au sol. Ma main droite me faisait encore mal. Les bruits s'intensifiaient là-haut. Je regardit Dreran. Ca y est. C'était le début. Bordel... Une nouvelle façon de mourir... Qu'est ce qu'on nous avaient prévus? En tout cas, je me frottais les mains à cause de la douleur. Je regardai ma main droite. La pierre sphérique incrustée dans ma peau commençait à briller imperceptiblement. Il s'excitait à l'intérieur. Dreran l'avait remarqué et il me regarda avec un peu de compassion. Cela fait toujours plaisir d'avoir un regard amical juste pour soi.

Soudain, des pas dans les escaliers. Le géôlier... Mon coeur se mit à battre à cent à l'heure. Il était venu chercher l'un de nous. L'un de nous allait y aller. On se regardaient avec Dreran. Comme deux enfants qui jouaient à cache-cache et que le loup arrivait. L'air de dire: "On reste ensemble et on se tire d'ici" Mais là, on pouvaient pas se tirer. Et surtout, c'était pas un jeu. C'était la vraie vie. Dure. Noire. L'homme se rapprocha. Il sentait une forte odeur d'alcool. C'était le gardien numéro 5. Il y en avait une vingtaine en tout mais seulement cinq s'occupaient de nous. Lui, c'était Nere. Il pouvait être sympa quand il avait poussé l'alcool. Mais sobre, il était insupportable. Pourtant, c'était celui qu'on préferaient avec Dreran parce que, avec lui, on s'amusaient bien et parfois, il nous faisait goûter son alcool. Mais surtout, avec lui, on se faisaient pas de bile. Il avait un gros nez rouge, rempli d'alcool. Un ventre proéminent, de petits yeux fatigués et quelques cheveux noirs. Un véritable ivrogne. Il portait sa tenue de gardien ouverte pour laisser passer son ventre. Une tenue entièrement verte foncée avec des boutons en cuivre, une ceinture et un pantalon de même couleur. A la ceinture, ses clés cliquetaient entre elles, dans un bruit métallique. Il avait toujours à la main un bâton pour frapper certains détenus. Il se tourna vers ma cellule et passa la clé dans ma serrure. Ma porte s'ouvrit. Il me dit: "C'est à toi M. Fais pas trop le fouttoire (il hoqueta) En fait, si, met le fouttoire (il rit légèrement)." Il passa des menottes à mes poignets meurtris. Mais j'avais l'habitude de ces menottes. Celles qui m'emmenaient vers l'extérieur. Vers le dehors. Ce putain de dehors où je ne voulais pas du tout aller. Il ferma ma cellule. Je passe un dernier regard vers mon ami qui m'offre un pouce en l'air et un clin d'oeil. Il était adossé contre le mur, comme si il s'apprêtait à pleurer. Moi, à chaque fois que c'était situation inverse, quand c'était Dreran qui partait, je chialais. Sûrement la peur de perdre un ami. Ouais, ça devait être ça. Puis après, je fesait les cents pas, tentant d'écouter ce qui ce passait en haut.

Mais là, c'était moi qu'on emmenait en haut. Nere n'avait même pas besoin de me tirer, je connaissais le principe, il m'emmenait en haut et après, fallait le lançer. Rien de plus simple. Y a juste moi entre les deux. La pierre angulaire. Avec d'un côté, l'humain, et de l'autre, celui qui t'arrache la gueule, celui qui tue, qui bouffe. Le Monstre. M. Ca venait de là. M. Monstre. On s'étaient pas fait chier mais je détestais ce nom. Monstre. J'allais l'entendre ce nom. Pendant longtemps encore. En tout cas, on arriva en bas de l'escalier qui reliait jusqu'à nos cellules. On étaient dans le couloir principal. Le bruit commençait à s'intensifier. Je m'assit dans le SAS. On appellaient ça le SAS parce que c'était l'endroit le plus insonorisé de l'endroit donc, on étaient dans une bulle avant de ressortir dans le monde de la mort et du danger. On y accédait seulement par cette escalier. On étaient au premier étage. On avaient même pas besoin de passer devant d'autres cellules. C'était les autres qui passaient devant nous habituellement. Dans cette salle, il y avait une table, une chaise et une armurerie avec des sets d'armures et des armes par milliers, rangées par ordre de taille et de puissance. On s'habillaient en fonction. Moi, je prenais pas d'armes. Tout ce que je faisais, c'était m'asseoir à la table et attendre mon tour. Pas de décoration dans la pièce. Juste une bannière avec la devise du coin. "Tuer ou se faire tuer." Une phrase classique qui venait d'une oeuvre populaire mais je ne sais pas laquelle. Une bannière pourpre avec des bords noirs et le symbole de l'endroit. Et encore ces murs gris en pierres, les mêmes que ma cellule mais cette fois, sans fenêtre. Une porte en bois et voilà. Nere me donna un peu de pain que je dévora sans attendre. J'avais tellement faim. Tellement. Je but un peu aussi. De l'eau. Il y en avait sur la table. Je ne sait pas si elle était potable mais je m'en foutais. J'avais soif. Ca allait commencer. Je devais être prêt. Je gratta sans faire attention à ma pierre greffée dans ma paume. Va falloir que je le sorte. Mais pas maintenant. Dehors.

Malgré que la salle soit insonorisée, on entendait très bien le brouhaha d'à côté. Des cris, beaucoup de cris. Et surtout, cette voix. Cette putain de voix. Une voix d'homme. On avait donné à la personne qui avait cette voix le doux nom de "Connard". Oui, on savait faire preuve de finesse parfois. Mais dans ces moments là, je le haïssais plus que tout ce Connard. Il cria: "Mesdames et Messieurs, je sais que vous l'attendez, sous vos yeux ébahis, je vous présente Le MOOOOOOOOOOONSTRE!" Cris d'une foule en délire. Nere me regarda comme un vieil oncle et hocha la tête. C'était mon tour. Il retira mes menottes et je passai la porte en bois. Mon coeur ne battait plus. Il avait cessé de battre au moment où j'ai entendu ce surnom. "Le Monstre". Connard, je te hais. J'ouvrit donc la porte et la lumière m'ébloui. J'y allais. Voilà. Voilà cet endroit. Voilà cette foule. Voilà cette lumière. Voilà ma vie.

A suivre...

Les mémoires d'un MonstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant