Elle était debout, immobile, les yeux perdus dans le vide. Le goût âcre et métallique du sang dans la bouche. Sa main crispée tenait un stylo dégoulinant de rouge. Un homme gisait à ses côtés.
*
Il était une fois, dans un lointain château, une jolie princesse. Sa peaux avait la blancheur de l'albâtre. Ses yeux étaient couleur azur. Et le soleil s'amusait à parer d'or ses cheveux blonds.
Son château était un peu particulier. Son haut portail en fer forgé noir était hérissé de pointes acérées. Son mur d'enceinte était entouré de clôtures barbelées. Ses pelouses étaient minées. Dans ses douves rôdait un sous-marin bardé de canons. Mais la princesse ne savait pas tout ça. Le roi, son père, voulant la protéger du monde extérieur et de ses perversions, lui interdisait de poser un pied dehors. Elle ne connaissait du monde que ce qu'il voulait bien lui en conter et ce qui était écrit dans les ouvrages endormis de la grande bibliothèque. Ceux qu'elle pouvait atteindre tous du moins. C'était sa prison, elle refusait d'y crever.
Son père voulait le meilleur pour elle. En usant de sa fortune, il lui offrait les meilleurs cours, des professeurs les plus réputés, des plus grandes écoles. Elle devait connaître, en plus des manières classiques, le chant, la danse, le piano et les règles de savoir-vivre. Par correspondance. Et grâce à son influence, personnes ne se posait de question, ni sur le fait qu'elle ne sortait pas, ni sur la raisons pour lesquelles on ne pouvait lui parler. Elle avait une santé fragile, voilà tout !
Jamais elle n'avait vu d'autre être que le roi. Tout ce qui devait être fait dans leur somptueuse demeure, l'était par des machines programmées au préalable.
Elle devait être parfaite, le roi ne tolérait pas le moindre relâchement, la moindre peccadille. Son port devait être droit et élégant, son esprit alerte, vif et acéré. Lorsque ce n'était pas le cas, il lui demandait pourquoi, mais pourquoi l'obligeait-elle à faire ça ? Peu importait ensuite combien elle criait, suppliait, s'époumonait, jurait de ne jamais recommencer, rien n'y faisait,il l'y enfermait. Où ? Dans la pièce blanche. Une véritable chambre froide. Dont la température baissait de plus en plus selon la gravité de la faute. Ne pouvoir rien porter d'autre qu'une légère robe de lin blanche qui lui brûlait la peaux au moindre frottement. Et du blanc. Où que porte son regard, du blanc aveuglant à porte de vue. Elle y passait des jours à ne rien manger d'autre que du riz et à ne rien boire d'autre que de l'eau. Le silence toujours. Son père, celui qu'elle idolâtrait était devenu son haïssable geôlier. Dans cette pièce, où le froid était partout, il finit par glacer son coeur, elle résolut de se venger. Elle serait comme il le désirait: parfaite, mais aussi impitoyable.
Elle lut chaque histoire criminelle de la grande bibliothèque et finit par mettre au point un plan. Chaque fois qu'elle se regardait dans un miroir, elle se dégoûtait. Elle n'était qu'une poupée, une marionnette que l'on manipule à sa guise. "Je changerais ça", se disait-elle.
Elle commença par mettre à exécution la première étape de son plan: convaincre son père qu'il avait réussi à la briser, à en faire sa parfaite petite princesse. Cela fut relativement simple, bien que long à réaliser, trois ans. Après tous les gens ne voient que ce qu'ils veulent voir. Il avait été enchanté qu'elle soit même devenu avide d'apprendre. Elle lui avait demandé si elle pouvait prendre des cours de théâtre qu'il lui avait bien volontiers accordés ! Elle devint d'un sang froid et d'une patiente à toute épreuve. Elle voulu ensuite apprendre son métier pour se préparer à prendre sa succession. Après tout n'allait-elle pas bientôt devenir sa digne héritière, aussi inhumaine que lui ? Il satisfit immédiatement son désir, lui montrant toutes les arcanes de son mondes, celui de la finance. Ensuite, de son propre chef, il la présenta aux employés, en tant que son successeur. Bien. Tout était en place, il ne lui restait plus qu'à demander à son très cher père de lui apprendre à s'occuper des robots de la maison. Par exemple celui qui servait de médecin. Le roi, dans un excès de fantaisie avait demandé à ce que lui soit accordé un diplôme de médecine. Grâce à son argent son voeu avait été exaucé. Ce robot pouvait même faire les constatation de décès. Mais, comme à tous robots, on pouvait tout de même lui faire faire ce que l'on souhaitait. Il n'avait pas l'éthique d'un docteur. Elle s'attacha à gagner la confiance et la sympathie des employés en se montrant aimable et, grâce à sa santé supposé fragile, cela fut chose aisé. Elle manifesta à son père un désir de voir le monde, désir qu'il croyait éradiqué chez elle. Il devait donc l'enfermer à nouveau...
Elle sentit à cette idée toute sa haine mûrie et réfléchis se réveiller soudainement. L'heure était arrivé. Ils étaient dans le bureau paternel. Une pièce décorée de boiserie sombre, presque sans fenêtre. Elle n'avait pas d'arme à porter de main mais avisa un stylo sur un meuble adjacent dont elle se saisit. Un simple stylo bille. Elle le leva calmement, alla se tenir debout à la droite de son père et fermement, enfonça le stylo dans sa carotide. Le sang jaillit, éclaboussa les feuilles blanches posées sur le sous-main et sa peaux blanche, si pâle, fut souillée de rouge.
Elle alla ensuite se nettoyer. Elle fit rédiger une ordonnance de décès au robot médecin, lui ordonnant d'indiquer une crise cardiaque colle cause du décès. Elle fit nettoyer la pièce aux autres, se chargea d'organiser un enterrement à cercueil fermé et se diriga lentement, cérémonieusement vers la porte, l'ouvrit puis resta un instant immobile à contempler ce monde extérieur dont elle fut si longtemps privée. Puis elle plaqua un sourire sur son visage et se dirigea gracieusement fans l'allée. Oui, elle s'était montrée la digne héritière de son père. Aussi froide que son coeur était sec.
Fin
VOUS LISEZ
Nuits Noires
Short StoryCe recueil de nouvelles a été écrit dans le cadre d'ateliers préparant le Festival Nuits Noires de l'année 2016/2017. Ce festival met en lumière le roman noir qui n'hésite pas à nous plonger dans un univers glauque, à dépeindre les travers et les vi...