After the storm, you were here

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Un soir de tempête, quelque part au bord de la mer. Les vagues peuvent pour une fois prouver leur supériorité face aux falaises et aux grands rochers noirs qui se dressent, sévères et imperturbables. Ils n'admettent pas leur défaite, seulement provisoire. Comme si tous les éléments s'étaient concertés, la pluie, le vent et les énormes nuages tourmentés forment un brouillard épais sur cette petite ville côtière, qui paraît désertée sous l'assaut du ciel.

Mais en réalité, on peut voir une petite silhouette ballottée par les bourrasques qui marche sur le trottoir de la rue principale. Accrochée comme si sa vie en dépendait à un grand parapluie noir qui paraît doué de vie et manque à chaque seconde de l'entraîner contre un mur ou sur la route, elle marche doucement, frêle et courbée. Elle n'a pas de genre, pas d'identité, elle est juste la petite silhouette de la tempête, aux cheveux artificiellement gris et aux joues trempées. Mais pour ce détail la pluie n'est pas en cause, ainsi la tempête extérieure répond à celle qui agite son cœur douloureux et son esprit en vrac. Finalement le vent peut bien l'emporter, plus rien n'importe désormais. Son monde s'est écroulé, il ne reste plus une miette d'espoir, et maintenant elle ne sait même plus où aller.

Mais c'est sans compter sur cette porte qui s'ouvre, laissant apparaître une autre silhouette, vêtue d'un ciré jaune qui détonne dans la grisaille ambiante. C'est un jeune homme, trop jeune peut-être pour habiter dans un village comme celui-ci, pour le moins éloigné de tout grand centre. Il est sorti caler ses volets pour éviter qu'ils ne s'envolent, ça lui est arrivé une fois et il a dû attendre beaucoup trop longtemps avant de dormir à nouveau sereinement avec des volets neufs. Mais en se tournant pour fermer sa porte il aperçoit au loin notre silhouette. Il aurait pu simplement l'étudier vaguement avant de retourner à sa tâche, mais son instinct lui dit qu'il a tout intérêt à prolonger son observation, et effectivement il la voit tituber, malmenée par le vent turbulent qui se joue de sa faiblesse, insensible souffle qui la glace jusqu'aux os.

Il ne réfléchit même pas avant de se lancer, contrant les bourrasques par ses grandes enjambées, tout droit vers ce tout petit gabarit qui faillit encore une fois trébucher quand son parapluie manque de se retourner. Ce dernier avance tête baissée, si bien qu'il ne voit pas l'éclaboussure dorée devant lui qui vient à sa rencontre. Ses fines jambes déjà éprouvées par son errance et par les éléments le lâchent alors qu'il bute sur une portion de trottoir inégal, tombant sur le bitume trempé en laissant échapper son maigre rempart contre la pluie battante qui s'envole immédiatement, comme une créature vivante éprise de liberté. Peu importe pour la petite silhouette désormais au sol, elle ne sent ni les égratignures à ses genoux, ni la perte de son parapluie. Elle n'a qu'à rester là, sous la pluie et le vent, et laisser les larmes du ciel laver les siennes.

Avec le concert de la tempête elle n'a pas entendu l'autre arriver, et pourtant voilà une main qui se tend devant son visage, tandis que la pluie arrête de s'abattre sur son dos déjà trempé. Son parapluie est tendu sur son corps recroquevillé, et lorsqu'elle relève la tête elle tombe sur un visage presque juvénile, un bouton de fleur commençant à peine à éclore. C'est un jeune homme, et elle voit immédiatement qu'il ne sait pas comment se comporter face à sa posture pathétique, comme le montre le décalage entre son sourire qu'il pense rassurant et l'inquiétude qui danse dans ses yeux.

« Ça va monsieur, vous ne vous êtes pas fait mal ? »

Cette phrase aurait pu sonner comme un petit bout de compassion, mais criée pour combattre le vent qui hurle elle perd tout son timbre, toute son identité. Les mots s'envolent, perdent leur signification, et l'homme au sol ne réagit pas au fait qu'il l'ait appelé monsieur. Et pourtant c'est la première fois qu'on le nomme ainsi. D'habitude on fait plutôt des remarques sur sa minceur féminine ou sur ses mains si froides quand on les serre. D'ailleurs cette dextre fine et pâle se tend pour attraper celle forte et bien bâtie de l'autre, et il le hisse sans effort sur ses jambes tremblantes, le tout en maintenant le parapluie au dessus de leur tête.

After the stormWhere stories live. Discover now