Le Capitaine

173 14 32
                                    



Mercredi

Une matinée chargée pas comme les autres. Le programme opératoire sous-évalué a poussé l'appel d'une infirmière anesthésiste vacataire en plus de la part de mes cadres. Je la découvris à l'ouverture de la salle de stomatologie alors qu'elle préparait son matériel, le mien de mon côté. Dans le bloc opératoire, tous vêtues de blouses bleues raides, effaçant nos formes et défauts, coiffés de calottes et de masques de chirurgie, seuls nos regards sont à nu, unique identification, sublimant leur beauté pour les plus perçants. En croisant son semi visage ce matin-là, l'azur de ses yeux me transperça, marquant un temps d'arrêt gênant accompagné d'un léger frisson. Elle, cette remplaçante inopinée, je ne connais pas son nom, n'a pas l'air spécialement jolie mais son regard m'étreint. A peine deux mètres nous séparent lors de notre première rencontre oculaire. J'ai plongé mon regard hypnotisé dans ses yeux sans penser à ma maladresse béat avec mes lèvres entre-ouvertes je crois, trop longtemps je pense car elle s'en rend compte mais loin d'être gênée elle m'offusque par sa répartie :

- Dis-moi si tu veux une photo ? On gagnera du temps tous les deux. En devinant un sourire dissimulé derrière son masque bleu.

L'ambiance d'un bloc est particulière, dès lors qu'on y pénètre on en fait partie, atmosphère à part, hors du temps sans fenêtres nous fait basculer dans un autre monde, beaucoup plus intime qu'un simple service d'hospitalisation. Son tutoiement ne me surprend donc pas du tout mais son aise me fait perdre la mienne habituelle. Aucun mot ne sors de ma fascination pour ses pupilles. La gorge serrée je brise à contrecœur le lien visuel et sort de la salle sans lui répondre avec l'amertume de ne pas avoir eu la répartie qui aurait pu nous rapprocher ; ou du moins briser la glace que j'avais moi-même imposé par ma timidité et l'ébranlassions de ma confiance.

Plusieurs heures plus tard, le bloc tourne à plein régime. Beaucoup d'interventions sont longues mais la salle du dentiste où ma fascination opère sur cette nouvelle venue enchaîne de courtes interventions d'ablation de dents de sagesses. L'occasion pour moi d'être souvent en compagnie de cette sirène faisant chanter le bip de mon téléphone pro pour m'appeler dès ses interventions terminées et sollicitant mes services. Strictement professionnels évidement. J'attends chacun de ces moments comme un ado attend son premier rencard, négligeant même d'autres spécialités du bâtiment. Quelque minutes plus tard, j'entends une autre IADE (Infirmière Anesthésiste Diplômée d'Etat) entreprendre de relayer la salle sept, celle de mon inconnue azur pour lui laisser un moment pour se sustenter. Un éclair me traverse au même moment, le rappel de ma femme, de mon fils et l'amour de mon cocon familial censé être inébranlable me tord de remords en me rappelant le simple regard d'une inconnue éphémère qui m'attire comme une géante gazeuse dans cet univers sans fenêtre. Cet éclaire allume simplement le fait de pouvoir déjeuner avec cette dulcinée de passage, je ne pense pas aux conséquences, un mélange d'hormones et de curiosité me pousse vers les vestiaires pour me changer en civil en même temps qu'elle. Je suis un simple géo croiseur curieux, capturé malgré lui dans son orbite, juste pour une journée. Je la passerais à tourner autour d'elle deux ou trois révolutions avant de repartir.

On arrive à quelques minutes d'intervalles dans l'office. La minuterie du micro-onde de nos plats préparés augmentent la pression stomacale de nos attentes. Comme si chacun voulais faire le premier pas sans courage malgré la conviction et l'assurance de notre attraction était mutuel. Les effluves de nos plats conditionnés se mélangent mais je n'y porte aucune attention, planté près d'elle attendant le « ding » de l'assaut culinaire, c'est son parfum qui me nourrit, discret et déjà mêlé à la tiédeur de de ses fluides cutanés, témoignages naturels de son travail du matin. Je suis quelqu'un de calme, réservé, sans orgueil mais jalonné d'euphorie. Je m'installe à la grande table commune avec mon déjeuner, en face d'elle malgré ma perte de confiance face à cet être étrange. Loin d'être belle ou envieuse, sans sa combinaison informe d'infirmière, elle m'apparaît bien plus enrobée que je ne le pensais, pour ne pas dire grosse non plus, se serait exagérer. Style vestimentaire négligé, un jean aillant fait son temps est remplit par ses lourdes cuisses et ses fesses, plutôt bien mise en valeur par le vallon de son dos que je perçois malgré sa position assise mais je les devine flasques aux textures d'agrumes peux flatteuses. Je préfère m'attarder sur son visage angélique démasqué Ciselé de belles courbes aux joues et au front rebondis caché derrière sa frange dorée. Le reste de sa chevelure est, au contraire en bataille, assez courte. Je suis très loin de mes fantasmes classiques que l'on pourrait trouver sur mon historique de navigation internet à mes heures perdus en manque de caresses. J'ai une attirance naturelle pour les rousses ou châtains à taille très fine, aux petits seins, aux airs pudiques, timides, à lunettes même qui relève presque du fétichisme. Je suis loin de mes standards et quand même je fonds dans son regard, accompagné de rêveries délicates qui interrompent ma mastication et réveil un timide diablotin malicieux heureusement caché, hors de sa vue sous la table. Je la surprends elle aussi emprise de songe ne me lâchant pas des yeux. Je l'extirpe de sa torpeur :

Le CapitaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant